À moins d'une entente entre l'administration Obama et le Congrès américain, le pays le plus riche du monde pourrait bientôt manquer d'argent pour payer ses dépenses. Comment est-ce possible? Professeur d'administration à l'Université Harvard, l'économiste David Moss explique les causes et les conséquences d'une crise en devenir - autant pour ses concitoyens que leurs voisins canadiens.

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Q: Qu'est-ce que le plafond de la dette fédérale?

R: Les États-Unis sont l'un des rares pays qui limitent la taille de leur dette par une loi fédérale, qui oblige le gouvernement fédéral à faire autoriser le total de sa dette par le Congrès. En vertu de cette loi datant de la Première Guerre mondiale, l'administration Obama ne peut pas endetter davantage le pays que le plafond permis par le Congrès. L'administration Obama estime qu'elle aura atteint ce plafond de 14 294 milliards US autour du 2 août prochain. «Actuellement, il n'y a pas de crise, mais il pourrait y en avoir une bientôt s'il n'y a pas d'entente à la date limite», dit David Moss.

Q: Y a-t-il des précédents?

R: Outre un incident technique en 1979, le gouvernement fédéral n'a jamais dépassé le plafond de la dette autorisé par le Congrès. Le plafond de la dette a été haussé à huit reprises depuis 2001. En 2006, Barack Obama avait voté contre une demande de l'administration Bush de hausser le plafond de la dette alors qu'il siégeait au Congrès comme sénateur de l'Illinois. «Il y a eu des tensions par le passé, mais le plafond a toujours été haussé quand il a fallu le faire, dit David Moss. Cette fois-ci, les politiciens font pression pour des changements fiscaux majeurs. Certains d'entre eux font de la politique avec le plafond de la dette.»

Q: Qu'arrivera-t-il si le Congrès ne hausse pas le plafond de la dette avant le 2 août?

R: Trois options s'offriront alors à l'administration Obama. Tout d'abord, vendre certains de ses actifs. «Ce pourrait être une vente précipitée et le prix obtenu ne serait probablement pas optimal», dit David Moss. Deuxième option: réduire ses dépenses immédiates, comme faire des coupes dans le budget de la défense ou dans les versements de Medicare, de Medicaid ou de sécurité sociale. «C'est un scénario socialement et politiquement inacceptable, mais ça pourrait aller jusque-là», dit le professeur de la Harvard Business School. Finalement: ne rien faire et se retrouver en situation de défaut de paiement. «Ce sont toutes de mauvaises options», résume David Moss.

Q: Quelles seraient les conséquences d'un défaut de paiement pour les États-Unis?

R: Difficile à prévoir, admet David Moss. «C'est impossible d'en être certain, mais d'une façon extrême, ça pourrait être une avalanche financière qu'on ne pourrait plus maîtriser», dit-il. Une avalanche qui augmenterait probablement les taux d'intérêt. «Certains économistes estiment qu'en 1979, une erreur purement technique a fait monter le coût d'emprunt du gouvernement d'environ 0,50%, dit le professeur d'économie. Une telle hausse des taux d'intérêt annulerait toutes les réductions de dépenses et forcerait soit une hausse des impôts, soit d'autres réductions de dépenses. Nous ne pouvons pas prendre le risque de nous infliger nous-mêmes une blessure comme celle-là pour des divergences politiques.»

Q: Et pour les Canadiens?

R:»Les répercussions pourraient venir jusqu'au Canada, mais on ne sait pas, dit David Moss. Les marchés boursiers pourraient certainement être touchés. C'est pourquoi on ne devrait pas jouer avec le plafond de la dette: on ne connaît pas les conséquences exactes d'un défaut de paiement.»

Q: Les États-Unis sont-ils dans une situation pire que celle de la Grèce, qui a dû adopter des mesures d'austérité fortement contestées pour se conformer au plan de sauvetage de l'Union européenne et du Fonds monétaire international?

R: Deux pays, deux situations différentes. «Contrairement à la Grèce, les Américains sont capables de payer plus d'impôts pour rembourser la dette et le gouvernement fédéral peut emprunter à des taux d'intérêt très bas à condition que le Congrès hausse le plafond, dit David Moss. La Grèce ne pourra visiblement pas rembourser sa dette sans imposer d'autres coupes qui ne seront pas acceptées par ses citoyens. En clair, la Grèce a des options beaucoup plus limitées, mais les conséquences d'un défaut de paiement des États-Unis seraient beaucoup plus graves sur l'économie mondiale.»

Q: À votre avis, quel sera le dénouement des négociations entre le Congrès et l'administration Obama?

R: «Le Congrès va éventuellement hausser le plafond de la dette», prédit David Moss. Les négociations sur la hausse du plafond de la dette lui rappellent un autre épisode politico-économique qui avait bien failli mal se terminer: le plan de sauvetage de Wall Street de George W. Bush, d'abord rejeté, mais finalement accepté par le Congrès. «Les marchés ont baissé de façon abrupte en 2008, ce qui a mis de la pression sur le Congrès pour lui faire adopter le plan de sauvetage. C'est possible qu'il arrive la même chose cette fois-ci si on dépasse la date limite et que les paiements fédéraux sont réduits. L'incertitude pourrait gagner les marchés et plusieurs Américains, particulièrement les personnes âgées, demanderaient le retour aux prestations normales de Medicare et de la sécurité sociale. Sous cette pression, le Congrès hausserait probablement le plafond de la dette, mais non sans avoir fait des dommages en ce qui a trait à la crédibilité des États-Unis et à la montée des taux d'intérêt.»