Au début de chaque trimestre, La Presse Affaires demande à quatre stratèges d'exposer comment ils répartiraient une mise de 50 000$ destinée à un REER. Ils font ici le point sur 2010 et son dernier trimestre plein d'heureuses surprises. Ils nous donnent leurs perspectives pour 2011, nous précisent ce qu'ils voient pour l'avenir immédiat et ajustent leur portefeuille en conséquence.

Si on doit chercher l'événement à incidence financière marquant de 2010 pour les gestionnaires de portefeuille, la liste pourrait être longue: crise de la dette souveraine, inquiétudes en provenance de Corée du Nord ou d'Iran, craintes d'une rechute en récession de l'économie américaine, guerre des taux de change.

Il en est un cependant qui les éclipse tous. C'est la combinaison de la réactivation de la planche à billets par la Réserve fédérale américaine et du nouveau stimulus fiscal obtenu à l'arraché par le président Barack Obama.

«L'histoire de 2010 s'est fixée au quatrième trimestre, résume Vincent Delisle, stratège chez Scotia Capitaux. Les marchés ont commencé à faire fi de l'aversion au risque.»

C'est ce qui aura permis aux places boursières nord-américaines de réussir un joli rallye du Père Noël, malgré un troisième trimestre qui avait offert les gains les plus solides de l'année.

Au final, 2010 aura permis de dégager des rendements appréciables, à défaut d'exceptionnels, peu importe qu'on ait opté pour une répartition marquée par la prudence avec, par exemple, 45% des billes placées dans les revenus fixes, comme l'ont fait Stéfane Marion, économiste en chef et stratège à la Banque Nationale, et François Bourdon, vice-président et chef adjoint des placements chez Fiera Sceptre, ou qu'on ait opté pour l'audace, comme l'a préféré Luc Girard, directeur, groupe-conseils en portefeuille chez Valeurs mobilières Desjardins. Il a déployé progressivement jusqu'à 80% de son portefeuille sur les marchés boursiers, ce qui représente une nette surpondération qui s'est révélée payante en deuxième moitié d'année.

«On s'attendait à une correction sur le marché obligataire et elle commence, explique-t-il. Les gens s'étaient réfugiés sur le marché obligataire. En 18 mois, ils ont transféré 500 milliards dans ce marché. Un jour ils vont revenir sur le marché boursier.»

Lorsque MM. Bourdon et Marion ont calibré leur portefeuille le premier octobre, ils ne pouvaient prévoir l'ampleur du stimulus fiscal. La diminution de deux points de pourcentage des contributions à la sécurité sociale n'était pas dans les cartes. D'aucuns estiment qu'elle est susceptible de générer à elle seule jusqu'à trois quarts de point de pourcentage de croissance. Ils ont donc privilégié la sauvegarde de l'épargne confiée.

«En 2010, on était moins en actions et on a conservé une position en encaisse, mais on a obtenu un résultat similaire aux autres avec moins de risque», soutient le premier.

Le second a choisi de se protéger en misant davantage sur le marché obligataire. Cette décision aura coûté quelques dollars en rendement puisque c'est le seul véhicule qui aura reculé en fin d'année. «L'incertitude économique et politique du deuxième semestre est en grande partie levée. La table est mise pour une meilleure reprise aux États-Unis. Il n'y aura pas de rechute», conclut-il cependant.

Le retour de la locomotive américaine

La disparition de plusieurs vents mauvais au sud de la frontière ranime l'optimisme des investisseurs et réveille leur appétit pour le risque.

Voilà pourquoi MM. Bourdon et Marion choisissent d'alourdir quelque peu le poids des actions dans leur portefeuille.

«Les Bourses n'ont pas augmenté plus vite que les profits l'an dernier, note M. Marion. La décision de la Fed (de ranimer la planche à billets) va inciter les gens à prendre plus de risques.»

Il se rallie donc à l'idée exprimée par M. Girard selon qui l'argent placé dans le marché obligataire sera progressivement recyclé dans l'achat d'actions.

Ce dernier ne modifie aucunement sa répartition, compte tenu de sa déjà très grande surpondération en actions.

Celle de M. Marion est de quatre points plus élevée en actions par rapport à son portefeuille de référence. Les émergentes sont toutefois sous pondérées de deux points alors que les trois autres catégories augmentent de deux points chacune.

Si la reprise se confirme, comme M. Bourdon en est persuadé désormais, alors les actions canadiennes offriront les meilleures perspectives de rendement, même si l'économie américaine devient plus performante. Quand on répartit ses billes sur la planète, alors la prise en compte du risque de change s'impose.

La gestion des variations de change

Voilà pourquoi il choisit de déplacer sur les marchés émergents, d'où il était absent, l'argent qu'il retire des véhicules à revenus fixes. «Les pays émergents profitent de la détente quantitative américaine, explique-t-il. Leurs devises devraient s'apprécier.»

Il demeure néanmoins celui qui aborde avec le plus de prudence ce véhicule.

À l'opposé, M. Girard y conserve 15% de sa mise. «On ne croit pas que le ralentissement chinois surviendra en 2011, estime-t-il. La Chine et l'Inde restent les grands moteurs de la croissance.»

Un brin à contre-courant, M. Delisle choisit d'augmenter quelque peu (3 points) le poids de ses revenus fixes, tout en haussant légèrement sa mise en actions américaines.

«L'appétit pour le risque n'est pas encore revenu, explique-t-il. Pour que cela arrive, il faudra que le marché obligataire se fasse laver. Je surveille de très, très près le moment où les flux d'investissement vont se renverser vers les fonds d'actions. Ce sera en 2011, si l'emploi s'améliore.»

En 2011, soit, mais sans doute pas au premier trimestre, estime-t-il, car la montée des taux obligataires (qui se traduit en pertes pour l'investisseur) sera lente en début d'année. «Je pense que le premier trimestre sera difficile sur le marché boursier. Il a déjà donné beaucoup en seconde moitié de 2010.»

La résilience canadienne

M. Marion mise quant à lui sur le potentiel de la Bourse canadienne qui profitera encore cette année de la cherté des matières premières en général et de l'énergie en particulier, compte tenu de la forte demande des économies émergentes.

En outre, le Canada va profiter de l'entrée de l'économie américaine en phase d'expansion, de la confiance grandissante des ménages et des directeurs d'achats dans les entreprises américaines.

«Les États-Unis redeviennent cette année une locomotive mondiale, renchérit François Bourdon. Nous avons fait passer notre prévision de croissance de 1,5% à 3,0%. Le marché boursier américain devient plus attrayant.»

Il place néanmoins plus de billes sur la Bourse canadienne, ici encore à cause du risque de change. Il estime que les exploitants de richesses naturelles et fabricants de biens industriels vont bien se tirer d'affaire. Il précise que les banques auront moins la cote sans doute, à cause de l'endettement des ménages, susceptible de gonfler les mauvaises créances. Il n'y a cependant pas à craindre de déconfiture, à l'américaine, souligne-t-il.

Des risques nombreux

Des perspectives non assorties de risques manquent de sérieux. En voici plusieurs qui pourraient ébranler l'optimisme modéré qui a cours, croit M. Girard: rechute de l'immobilier américain; création d'emploi anémique aux États-Unis; ralentissement trop prononcé de la Chine; augmentation devancée des taux directeurs des banques centrales; poussée des prix du pétrole; craintes renouvelées de l'insolvabilité de la dette souveraine de certains pays.

Cela n'ébranle aucunement sa confiance. «La Fed est toujours prête à agir alors que le bilan des sociétés est solide: 7% de leurs avoirs sont en encaisse. Le risque va être récompensé.»