L'avenir des marchés du carbone en Amérique du Nord pourrait bien se jouer demain en Californie. En plus de choisir le successeur d'Arnold Schwarzenegger et de voter sur la légalisation de la marijuana, les citoyens du Golden State se prononceront en effet sur une proposition visant à retirer leur État de la Western Climate Initiative (WCI), futur marché du carbone auquel le Québec compte aussi participer.

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La «proposition 23» demandera de retarder l'entrée de la Californie dans la WCI jusqu'à ce que le taux de chômage de l'État descende sous le seuil de 5,5% et s'y maintienne pour au moins un an. La Californie, durement éprouvée par la crise économique, affiche actuellement un taux de chômage de 12,4%.

«Si la Californie se retire, ça veut dire qu'il ne se passera rien aux États-Unis pour un certain temps. Ce serait une douche froide, un coup dur. Ça va brasser si ça arrive», dit Jean Nolet, président d'ÉcoRessources consultants, firme québécoise qui se spécialise dans le secteur du carbone.

Selon les plans initiaux, la Western Climate Initiative doit démarrer en 2012 avec cinq membres, le Québec, l'Ontario, la Colombie-Britannique, la Californie et le Nouveau-Mexique. Le Manitoba et cinq autres États américains s'y joindraient plus tard.

Les membres de la WCI obligeront leurs entreprises les plus polluantes à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre. Celles-ci pourront cependant choisir d'acheter des crédits de carbone à d'autres entreprises plutôt que de faire les réductions à l'interne, ce qui créerait un marché du carbone entre les juridictions membres.

«La Californie est l'État phare au sein de la WCI. Si l'instigateur, le pionnier du projet en venait à se retirer, ça créerait fort probablement un négativisme dans le marché», croit aussi Yves Legault, vice-président, financement progressif, pour la firme québécoise L2i.

Pour l'instant, tant M. Nolet que M. Legault sont optimistes. Les plus récents sondages montrent que 48% des répondants comptent voter contre la proposition 23 (donc maintenir la Californie dans la WCI), alors que 32% comptent l'appuyer.

Le gouvernement du Québec considère d'ailleurs que la Californie ira de l'avant avec le marché du carbone.

«Le Québec continue son action au sein de la WCI. Le Québec est confiant que la Californie va demeurer partenaire de la WCI. Si des changements surviennent, le Québec étudiera la nouvelle situation et prendra les décisions qui s'imposent au moment opportun», dit Anne-Sophie Cauchon, porte-parole du ministère du Développement durable, de l'Environnement et des Parcs.

La Californie serait de loin la plus importante économie à participer à la WCI. Selon une analyse publiée par le commissaire à l'environnement de l'Ontario, l'État représente 54% des émissions de gaz à effet de serre des cinq membres qui se joindraient au marché en 2012, contre 21% pour l'Ontario et 9% pour le Québec.

«Perdre la Californie serait un coup dur pour la WCI et peut-être pour tous les marchés du carbone en Amérique du Nord et même de la planète», écrit le commissaire sur son site internet.

Toute la question est de savoir si la WCI pourrait survivre à un éventuel retrait de la Californie, qui entraînerait sûrement aussi celui du Nouveau-Mexique. Dans une analyse publiée récemment, le groupe PointCarbon indique que les membres restants devront juger si un marché sans la Californie offrirait assez de liquidités pour éviter des fluctuations majeures de prix.

Jean Nolet, d'ÉcoRessources, y croit.

«Si les quatre provinces canadiennes membres du WCI vont de l'avant, on se retrouve quand même avec 72% de l'économie canadienne. Ce n'est pas du tout négligeable. On peut penser que c'est suffisant pour démarrer un marché», dit-il.

Une analyse que partage Yves Legault, de L2i, qui souligne que les quatre provinces canadiennes pourraient transiger des volumes de carbone supérieurs à ceux qui se brassent actuellement sur la Regional Greenhouse Gas Initiative, marché déjà actif dans le nord-est des États-Unis.

Pour plusieurs, l'élection d'un gouverneur démocrate en Californie demain risquerait aussi de favoriser le marché du carbone.

«C'est vraiment la proposition 23 qui va parler, croit toutefois Matt Horne, de l'Institut Pembina. Si la proposition est défaite, ce sera un appui clair des efforts climatiques de la Californie. Ce serait difficile pour un gouverneur d'aller à l'encontre de ça, peu importe son allégeance politique.»