Deux ans et une crise financière plus tard, Barack Obama était de retour hier à Cooper Union, une université située dans le sud de Manhattan où il avait dénoncé en tant que candidat à la Maison-Blanche les excès de Wall Street. Prenant cette fois-ci la parole à titre de président, il a exhorté les banquiers new-yorkais à soutenir son projet de réforme du secteur financier, faute de quoi les États-Unis sont condamnés selon lui à une nouvelle crise.

«C'est d'un manque de responsabilité que j'avais parlé lorsque je suis venu à New York il y a plus de deux ans», a déclaré le président américain devant environ 700 personnes. «Et je n'éprouve aucune satisfaction à voir que mes propos ont été en grande partie validés par les événements qui ont suivi. Mais je répète ce que j'ai dit car il est essentiel que nous tirions les leçons de cette crise, afin de ne pas nous condamner à la répéter. Et que personne ne se trompe, c'est exactement ce qui se passera si nous laissons passer ce moment, ce qui est inacceptable pour moi et pour le peuple américain.»

Plusieurs gros bonnets de la finance se trouvaient dans l'auditoire, y compris Lloyd Blankfein et Gary Cohn, les deux principaux dirigeants de Goldman Sachs, dont la mise en cause récente pour fraude par le gouvernement américain a secoué Wall Street. Le président Obama s'est adressé directement à eux en leur enjoignant de mettre fin aux «efforts» furieux de leurs «bataillons» de lobbyistes pour bloquer la réforme de la régulation du système financier, un dossier en cours d'examen au Sénat américain.

«Je suis sûr que certains de ces lobbyistes travaillent pour vous, et je suis sûr qu'ils font ce pour quoi ils sont payés. Mais je suis ici aujourd'hui parce que je veux vous exhorter à nous rejoindre, plutôt que de nous combattre», a déclaré Barack Obama, tout en assurant les investisseurs de sa foi dans le «pouvoir du marché».

«Je crois en un secteur financier fort qui aide les gens à lever des capitaux, à obtenir des prêts et à investir leurs économies, a-t-il dit. Mais un marché libre n'a jamais voulu dire un permis de prendre tout ce que vous pouvez prendre.»

Adresse aux parlementaires

Dans son discours, le président ne s'est pas seulement adressé aux dirigeants de Wall Street mais également aux parlementaires de Washington. La Chambre des représentants a déjà approuvé un projet de réforme du système financier. Et la majorité démocrate du Sénat a annoncé hier qu'un premier vote devrait se tenir lundi sur l'ouverture ou non des débats sur sa version de la réforme.

Les démocrates auront besoin d'au moins un vote républicain pour atteindre les 60 voix nécessaires à l'ouverture des débats. Même s'ils se sont montrés plus conciliants au cours des derniers jours, les républicains ont d'abord exprimé leur opposition à la réforme voulue par les démocrates, faisant notamment valoir que celle-ci institutionnaliserait les sauvetages bancaires.

Le président Obama s'est attaqué à cet argument hier en assurant que l'argent des contribuables ne servirait plus à renflouer les banques en difficultés.

«Un vote pour la réforme est un vote pour mettre fin aux plans de sauvetage financés par les contribuables. C'est la vérité. Point final», a-t-il dit.

Dans une entrevue diffusée hier matin sur la chaîne de télévision ABC, le secrétaire au Trésor Timothy Geithner a été encore plus catégorique, promettant le démantèlement des banques ayant pris trop de risques.

«À l'avenir, si elles sèment de nouveau la pagaille et se retrouvent une nouvelle fois au bord du gouffre, nous voulons être assurés de pouvoir les fermer, les démanteler en toute sécurité, sans que le contribuable ait une nouvelle fois à les sauver», a-t-il déclaré.

Le président Obama a exprimé son appui à la fois au projet de loi de la Chambre des représentants et au texte dont le Sénat est sur le point d'accoucher. Celui-ci devrait notamment inclure des dispositions renforçant le contrôle sur les produits dérivés, dont l'utilisation à outrance a contribué à la crise financière de 2008. Aux termes d'un projet à l'étude, ces instruments devraient s'échanger dans des Bourses et transiter par des chambres de compensation. Les banques d'affaires comme Goldman Sachs ne pourraient plus les commercialiser de gré à gré.

Le projet de loi du Sénat prévoit aussi la création d'un nouvel organisme financier de protection du consommateur qui dépendrait de la Réserve fédérale. Celle-ci obtiendrait en outre de nouveaux pouvoirs sur les établissements financiers non bancaires et conserverait l'essentiel de ses prérogatives sur les banques.

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LA RÉFORME EN QUATRE POINTS

Liquider des banques

Le projet prévoit la création d'un fonds de 50 milliards US permettant la liquidation des banques et autres institutions financières dont l'importance est telle que leur effondrement menace le système financier dans sa totalité.

Surveiller les dérivés

La surveillance du marché des produits dérivés doit être renforcée. Ces instruments financiers complexes, dont la valeur est fondée sur celle d'autres investissements, ont été rendus en partie responsables de la crise.

Analyser le marché

Le projet prévoit aussi la création d'un conseil chargé de détecter les menaces sur le système financier lui-même.

Protéger le consommateur

Une agence de protection des droits des consommateurs face aux banques doit être mise sur pied.

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REGARDEZ AU NORD, DIT LE MINISTRE JIM FLAHERTY

De passage hier à Washington pour la réunion du G20, le ministre canadien des Finances, Jim Flaherty, a encore une fois cité le Canada en exemple en commentant la réforme proposée par le président Obama.

«Plusieurs des réformes suggérées aux États-Unis comportent des éléments qu'on possède depuis longtemps au Canada.»

«La plupart des institutions financières qui sont tombées étaient déjà réglementées, ce que les gens oublient. On a besoin de règles efficaces et, ce n'est pas pour vanter le Canada, mais le fait est que nos organismes de réglementation ont fait leur travail.»