Confier à la Fed le contrôle des politiques salariales des banques pour éviter les prises de risques excessifs qui ont conduit à la crise: la dernière idée en date de l'administration Obama pour contenir Wall Street, dévoilée cette semaine, a été diversement accueillie dans le milieu de la finance américaine. Si certains experts y voient un bon départ, d'autres jugent d'ores et déjà son application impossible.

Pour les plus sceptiques, il s'agit d'une demi-mesure qui évite le fond du problème: tant que l'État sera là pour renflouer les grosses banques en cas de danger, rien ne pourra vraiment dissuader les traders de parier sur des titres ou des produits financiers potentiellement calamiteux. «Les grosses rémunérations issues d'une prise de risque importante sont un problème», avoue Bill Fleckstein, directeur d'un fonds d'investissement de Seattle. «Mais le véritable problème, c'est que ces institutions bénéficient d'un système qui fait que pile, elles gagnent, face, le contribuable perd».

Un an après l'éclatement de la crise financière, la situation semble en effet revenue à la normale à Wall Street, où les banques annoncent de nouveau d'énormes profits. Trop pour certains observateurs, pour qui Barack Obama, qui s'était engagé à limiter les rémunérations des dirigeants, doit interdire à ces grandes banques de s'engager sur des titres risqués ou alors réduire leur taille afin que leur éventuel effondrement ne menace pas le système tout entier.

L'administration Obama et la Réserve fédérale ont opté pour une autre solution: confier à la Fed le soin de réguler les banques et de contrôler leurs politiques de rémunérations à l'aune de leur prise de risque.

Selon ce projet, chacune des 28 plus grosses banques américaines -parmi lesquelles Goldman Sachs, Citigroup ou encore Bank of America- devra élaborer son propre système de rémunération, afin de ne pas encourager de prise de risque excessive. Chaque plan devra être validé par la Fed, dont les contrôleurs surveilleront ensuite la mise en oeuvre. Même les banques n'ayant pas bénéficié du plan de sauvetage du secteur financier -700 milliards de dollars- seraient soumises à la surveillance de la Fed.

«C'est un bon début, mais ce n'est pas suffisant», estime Simon Johnson, ancien économiste du Fonds monétaire international. Selon lui, le projet pourrait réduire la prise de risque des banques, placées de fait sous le contrôle de la Réserve fédérale, mais pas les institutions au-delà de l'autorité de la Fed, telles que les fonds d'investissement.

Pour d'autres spécialistes, la tâche de la Fed sera quasi-impossible en raison de la difficulté même de définir ce qu'est un «risque excessif». Ceux-ci en voudraient pour preuve les signaux d'alerte passés inaperçus avant l'éclatement de la bulle financière il y a deux ans.

«Qu'est-ce qu'un risque excessif, et qui peut le dire?», résume David Yermack, professeur de finances à la Stern School of Business de l'université de New York. De même, faire évaluer par la Fed la prise de risque des banques lui apparaît, d'un point de vue logistique, «ridicule». «Il faudrait des milliers d'experts, et penser qu'on pourrait identifier lesquels des traders prennent trop de risques pourrait se révéler impossible», explique-t-il.

Même Kenneth Feinberg, responsable du Trésor chargé de la question des rémunérations, reconnaît la difficulté de la tâche. «Je ne suis pas certain de savoir ce qu'est un risque», dit-il. «Et je ne suis pas du tout certain de savoir ce qu'est un risque excessif».