Critiquée de toutes parts, la nouvelle salve de l'administration Trump à l'endroit des importations d'aluminium et d'acier a déclenché une série d'inquiétudes chez les différents représentants canadiens de ces secteurs.

Dès vendredi, le Canada, le Mexique et l'Europe ne seront plus exemptés des droits d'importation de 25 pour cent sur l'acier et de 10 pour cent sur l'aluminium qui avaient été imposés pour la première fois en mars. Ottawa a répliqué en imposant des surtaxes sur des importations d'acier, d'aluminium et d'autres produits importés des États-Unis pouvant atteindre 16,6 milliards $.

Si les grands producteurs comme Rio Tinto Alcoa et Aluminerie Alouette - qui exploitent neuf alumineries au Québec - devraient pouvoir tirer leur épingle du jeu en dépit des sanctions à la frontière, le président de l'Association de l'aluminium du Canada (AAC), Jean Simard, s'inquiète pour les plus petits joueurs.

Plus de 1400 entreprises oeuvrent dans le domaine de la transformation de l'aluminium dans la province. Elles génèrent une partie des 10 000 emplois directs et 20 000 autres postes indirects rattachés à l'industrie du métal gris.

«On pourrait rapidement observer des effets», a prévenu M. Simard, au cours d'une entrevue téléphonique.

Selon l'Institut de la statistique du Québec (ISQ), de 2016 à 2017, les exportations québécoises d'aluminium ont bondi de 27 pour cent pour s'établir à 6,1 milliards $ - un sommet en près de 10 ans.

D'après M. Simard, les Américains ont consommé 5,5 millions de tonnes d'aluminium l'an dernier alors que leur production domestique n'a été que de 700 000 tonnes. Les États-Unis se sont principalement approvisionnés auprès du Canada.

Voici quelques répercussions des décisions prises par Washington.

Beaucoup de pression

Comme les grands producteurs, beaucoup de transformateurs font des affaires aux États-Unis et une taxe de 10 pour cent à la frontière risque de leur compliquer la tâche rapidement, craint le président de l'AAC.

«Leur marge bénéficiaire n'est pas élevée, a dit M. Simard. Ils n'ont pas tous les reins assez solides pour absorber les tarifs. Certains auront de la difficulté à se tirer d'affaires. C'est une question de semaines ou de mois.»

Une diminution du nombre de transformateurs au Québec finirait également par avoir des répercussions sur les grands producteurs, a prévenu le président de l'AAC, puisque ces derniers représentent entre «10 et 30 pour cent» de leur marché.

Établi à Chicoutimi, le Groupe Sotrem-Maltech, qui génère des recettes annuelles d'environ 200 millions $ et qui compte 60 pour cent de ses clients au sud de la frontière, fait partie des entreprises inquiètes.

«Nos marges sont environ de cinq pour cent, a expliqué son président, Michel Boudreault. Si nos clients américains ne veulent pas absorber la nouvelle taxe et qu'ils pensent qu'on va l'assumer, c'est impossible. Il n'y a aucune PME qui peut assumer cela.»

Le dirigeant de la société, également propriétaire de Shawinigan Aluminium, a indiqué qu'il s'affairait à contacter certains clients pour prévenir qu'il sera difficile de respecter les prix pour certains contrats.

Toutefois, les négociations risquent d'être difficiles, a précisé M. Boudreault, soulignant que peu de sociétés américaines étaient ouvertes à assumer le tarif frontalier.

Chaîne d'approvisionnement touchée

Sans changement, des effets négatifs risquent de s'observer après quelques semaines sur la chaîne d'approvisionnement canado-américaine de l'aluminium, croit le président de l'AAC.

«Il va être de plus en plus nécessaire pour les consommateurs industriels d'aluminium de revoir leur source d'approvisionnement pour tenter d'avoir accès à du métal qui ne sera pas frappé par des tarifs», a expliqué M. Simard.

Celui-ci n'anticipe pas de mises à pied à court terme chez ses membres pour l'instant. Le président de l'AAC ne s'attend pas nécessairement à ce que l'application des tarifs puisse traîner en longueur.Néanmoins, il pourrait y avoir des répercussions si les taxes frontalières devaient être en vigueur à plus long terme, estime l'économiste au Mouvement Desjardins, Karine Bergevin.

«Cela pourrait inciter certaines compagnies à se poser des questions sur leurs investissements et l'organisation de leur chaîne de production, a-t-elle expliqué, au cours d'un entretien téléphonique. Cela pourrait prendre des années avant qu'une décision soit prise.»

Un prix en hausse

En dépit des tarifs, la demande d'aluminium ne devrait pas fléchir aux États-Unis, croit Mme Bergevin, puisqu'il est difficile pour des producteurs automobiles, par exemple, de remplacer ce métal.

«Le tarif risque tout simplement de se déplacer dans le prix, comme ça été le cas avec le conflit du bois d'oeuvre», a-t-elle expliqué.

Sur les marchés, la tonne d'aluminium se négociait, jeudi après-midi, à 2259 $ US.

Une flambée des prix pourrait finir par se refléter sur le prix des biens de consommation, croient M. Simard et Mme Bergevin, bien qu'il soit difficile pour l'instant de quantifier les augmentations.

«Tout est tellement relié, a rappelé l'économiste au Mouvement Desjardins. On exporte l'aluminium vers les États-Unis, où la matière première est transformée avant de revenir chez nous dans un produit de consommation. Il y a une chance que les prix puissent grimper.