Les Québécois auraient très mal réagi si Ottawa les avait forcés à accepter le passage de l'oléoduc Énergie Est sur leur territoire. C'est ce qui se passe actuellement avec le projet Trans Mountain de Kinder Morgan, que le gouvernement Trudeau veut faire accepter par la Colombie-Britannique.

Le géant américain Kinder Morgan, qui a investi beaucoup d'argent dans son projet depuis 2013, a décidé d'abandonner la partie le 31 mai si le gouvernement de la Colombie-Britannique de même que la ville de Burnaby et plusieurs groupes de la société civile continuent de s'y opposer.

Cette décision a fait monter encore d'un cran les tensions entre l'Alberta et la Colombie-Britannique et forcé Ottawa, qui a déjà donné son accord au projet, à trouver une solution à ce qui est devenu une crise majeure pour la fédération canadienne.

LE PROJET

Le pipeline Trans Mountain qui relie Edmonton, en Alberta, à Burnaby, en Colombie-Britannique, existe depuis 1953. Kinder Morgan veut tripler sa capacité actuelle pour acheminer 890 000 barils de pétrole de l'Alberta jusqu'à l'océan Pacifique, où il serait transporté vers les marchés asiatiques.

DES MILLIARDS EN JEU

Le projet Trans Mountain nécessiterait des investissements considérables, de l'ordre de 7,4 milliards. Mais il y a beaucoup plus d'argent en jeu. Il s'agit d'acheminer plus de pétrole albertain vers d'autres marchés que les États-Unis, afin d'augmenter le prix pour les producteurs albertains. Faute d'oléoduc d'une capacité suffisante pour le faire parvenir aux marchés, le prix du pétrole canadien est inférieur au prix international, ce qui se traduit par un manque à gagner important pour l'Alberta et pour l'économie canadienne.

L'écart de prix entre le pétrole canadien (Western Canada Select) et le pétrole américain (West Texas Intermediate) varie entre 15 et 25 $US le baril.

La Banque Scotia estime qu'à son niveau actuel, l'écart de prix dû au manque de pipeline coûte 15,6 milliards par année à l'économie canadienne.

COMME ÉNERGIE EST

Ottawa se retrouve dans la même position que lors du débat sur le projet Énergie Est, dont le Québec ne voulait pas. Si le promoteur TransCanada n'avait pas abandonné la partie, le gouvernement Trudeau aurait été dans la même obligation de forcer la main du Québec, au nom de l'intérêt national et de la compétence fédérale sur les pipelines inscrits dans la Constitution.

« Le Québec aurait été dans une position bien pire que la Colombie-Britannique pour s'opposer au fédéral, parce qu'il reçoit des paiements de péréquation. » - Jean-Thomas Bernard, spécialiste en énergie et professeur à l'Université d'Ottawa

Le problème du projet Trans Mountain est maintenant un problème 100 % politique, et tous les politiciens concernés sont mal pris. « Le gouvernement néo-démocrate de Colombie-Britannique est minoritaire et il se maintient au pouvoir grâce aux verts, qui ne changeront pas d'idée. Le gouvernement néo-démocrate de Rachel Notley est assuré d'être battu aux prochaines élections en cas d'échec de Trans Mountain. Et le gouvernement Trudeau, qui a déjà donné son accord au projet, ne peut plus l'abandonner. »

« Son autorité est en cause, comme la réputation du Canada sur le plan économique », estime le professeur.

Le premier ministre Justin Trudeau reconnaît lui-même qu'il ne s'agit pas seulement d'un pipeline, mais de l'avenir de la fédération canadienne.

« C'est pour ça qu'on va de l'avant. On va continuer d'insister et de défendre le droit du fédéral de gérer l'intérêt national, parce que sinon, la fédération canadienne ne fonctionne plus », a dit le premier ministre en entrevue à Radio-Canada.

NATIONALISER TRANS MOUNTAIN ?

Une des solutions envisagées pour mener à bien le projet Trans Mountain serait son rachat par l'Alberta et le gouvernement fédéral, qui pourraient prendre le temps de mener le combat politique et judiciaire dont Kinder Morgan ne veut pas attendre la conclusion.

Cette solution ne garantit pas que le projet se réalisera, croit le professeur Jean-Thomas Bernard. « La nationalisation ne fera pas disparaître les opposants », dit-il.

Il n'y a pas beaucoup d'avenues possibles pour résoudre la crise, selon lui. L'une d'entre elles pourrait être une sorte de troc entre Ottawa et la Colombie-Britannique pour permettre à toutes les parties de sauver la face.

« Le fédéral pourrait mettre de l'argent sur la table pour financer des projets en Colombie-Britannique, comme dans le secteur du transport public », suggère-t-il.