Les conflits de travail dans les alumineries ne sont pas coûteux seulement pour les entreprises et leurs employés. Ils coûtent cher à Hydro-Québec, qui ne semble pas avoir tiré de leçons du lock-out chez Rio Tinto à Alma en 2012. Le conflit actuel à l'Aluminerie de Bécancour (ABI) prive encore la société d'État de revenus importants.

822 000 $ PAR JOUR

Le lock-out décrété par Rio Tinto à son usine d'Alma en 2012 a duré six mois et a coûté 148 millions à Hydro-Québec, soit quelque 822 000 $ par jour. Dans ce cas, la société d'État a été obligée d'acheter l'électricité produite et non utilisée par Rio Tinto à cause du conflit. Rio Tinto pouvait invoquer la clause de force majeure prévue au contrat avec Hydro-Québec, même en cas de lock-out décrété par l'entreprise, pour l'obliger à acheter cette énergie qui s'ajoutait à ses surplus.

604 464 $ PAR JOUR

Le lock-out actuel à l'Aluminerie de Bécancour a coûté jusqu'à maintenant 604 464 $ par jour à Hydro-Québec, selon une analyse du contrat entre les deux parties, commandée par le Syndicat des Métallos au spécialiste en énergie Jean-François Blain, et que la société d'État ne conteste pas. 

Cette fois, il s'agit de revenus de vente d'électricité en moins, et non de l'achat forcé d'électricité non utilisée. Mais les propriétaires d'ABI, Alcoa et Rio Tinto, ont eux aussi invoqué la clause de force majeure pour réduire les achats d'électricité. Cette clause leur permet aussi d'éviter de payer une pénalité annuelle de 41,9 millions prévue si l'usine réduit sa production en deçà de 380 000 tonnes par année. ABI a une capacité de production de près de 400 000 tonnes et fonctionne au tiers de cette capacité depuis le début du lock-out, le 11 janvier.

FORCE MAJEURE

La clause de force majeure, courante dans les contrats d'affaires, s'applique généralement à des évènements impossibles à prévoir ou à contrôler, comme une guerre, une explosion ou un tremblement de terre, s'indignent les travailleurs d'ABI en lock-out. « On peut comprendre qu'une entreprise invoque la force majeure en cas d'incendie ou de tremblement de terre, mais dans le cas d'un lock-out, c'est l'entreprise qui prend la décision », explique Dominic Lemieux, adjoint au directeur du Syndicat des Métallos. 

À Alma, où les syndiqués avaient déploré l'utilisation de la clause de force majeure, on ne comprend pas pourquoi Hydro-Québec ne s'est pas prémunie contre d'autres pertes du même genre. Le contrat avec ABI a été conclu en 2014, deux ans après le lock-out de l'usine d'Alma qui lui avait coûté 148 millions.

LA CONSOMMATION DE LONGUEUIL

L'électricité qui n'est pas achetée par ABI représente la consommation d'une ville comme Longueuil, selon l'analyste qui a calculé le manque à gagner d'Hydro-Québec. Cette énergie ne peut pas être revendue à d'autres clients, parce que la société d'État est déjà en situation de surplus. L'exportation n'est pas non plus une solution, puisque les lignes de transport sont utilisées au maximum de leur capacité, a indiqué hier Hydro-Québec. Sur une base annuelle, le manque à gagner d'Hydro-Québec à Bécancour serait de 220 millions.

UN CONFLIT QUI DURE

L'utilisation de la clause de force majeure, en réduisant le coût pour ABI, fait que le conflit peut durer plus longtemps, déplore Alexandre Fréchette, président du syndicat de l'usine d'Alma, où le lock-out a duré six mois. « C'est sûr que si on est en grève et que je n'ai pas besoin de payer mon hypothèque ou mon compte d'Hydro, je vais être pas mal plus indépendant », illustre-t-il.

À Bécancour, aucune discussion n'a eu lieu entre les parties depuis le déclenchement du lock-out, le 11 janvier, a indiqué le représentant syndical Dominic Lemieux. Le fonds de retraite et le respect de l'ancienneté lors des mouvements de main-d'oeuvre sont les deux principaux points de friction, a-t-il précisé.

UN DÉCRET CLAIR

Le décret du 3 décembre 2014 conclu entre le gouvernement, Hydro-Québec et les propriétaires d'ABI inclut spécifiquement la grève et le lock-out comme un cas de force majeure. Voici l'extrait : 

« L'expression Force majeure signifie tout évènement imprévisible, irrésistible ou échappant au contrôle d'une Partie qui retarde, interrompt ou empêche l'exécution totale ou partielle par cette Partie de ses obligations en vertu du Contrat ; sans restreindre la portée de ce qui précède, l'un ou l'autre des évènements suivants constitue un évènement de Force majeure : guerre, embargo, insurrection, invasion, émeute, rébellion, troubles sociaux, épidémie, inondation, incendie, explosion, foudre, tremblement de terre, verglas, orage, sabotage, conflit de travail, grève, piquetage ou lock-out (y compris les conflits de travail, grèves, piquetages et lock-out chez la Partie invoquant la Force majeure) ».