Le gouvernement du Québec devrait-il se rendre aux arguments d'Alcoa et réduire les tarifs d'électricité des alumineries? Il est devenu urgent de répondre à cette question depuis qu'Alcoa a menacé de quitter le Québec dans un an, si elle ne parvient pas à renégocier à la baisse le contrat d'approvisionnement à long terme qu'elle a signé en 2008 avec Hydro-Québec et qui serait en vigueur le 1er janvier 2015.

Ce contrat remplace les contrats secrets en place depuis 25 ans dont le tarif était lié aux fluctuations du prix de l'aluminium et qui se sont avérés une bonne affaire pour l'industrie, mais pas pour Hydro-Québec qui y a perdu beaucoup d'argent.

Le gouvernement libéral précédent avait décidé de mettre fin aux privilèges accordés aux alumineries et de conclure les prochaines ententes d'approvisionnement au tarif industriel régulier d'Hydro-Québec (tarif L). Les deux entreprises actives au Québec, Rio Tinto Alcan et Alcoa, avaient accepté ces nouvelles conditions tarifaires.

Depuis 2008, le prix de l'aluminium a plongé, et les producteurs se sont tournés vers les pays qui offrent l'énergie la moins coûteuse au monde, comme le Qatar ou l'Arabie saoudite. Le Québec n'est plus dans la course, disent Alcoa et Rio Tinto Alcan.

Au cours de la même période, les surplus d'Hydro-Québec ont par ailleurs augmenté considérablement, et les exportations sur les marchés voisins ne sont plus aussi rentables en raison de la baisse des prix de l'électricité aux États-Unis.

Les alumineries arguent que ces surplus seraient mieux utilisés dans leurs usines pour maintenir les emplois existants. Elles réclament le renouvellement de contrats à long terme à partage de risque avec Hydro-Québec. Le prix de l'électricité pourrait augmenter avec le prix de l'aluminium sur le marché international.

La Presse a posé à trois spécialistes la question suivante: le Québec doit-il consentir aux rabais réclamés par les alumineries?

Jean-Thomas Bernard, Université d'Ottawa: non

Il faut arrêter de subventionner les alumineries, parce que l'électricité pas chère, qui a servi à les attirer au Québec, est chose du passé, estime Jean-Thomas Bernard. «C'est le temps de les laisser partir. Si on réduit les tarifs d'Alcoa et de Rio Tinto Alcan, on va augmenter ceux de tous les autres clients d'Hydro-Québec ou augmenter les impôts de tous les contribuables», dit-il. Si le gouvernement dit non, ce ne sera pas une catastrophe, selon lui, même si Alcoa ferme ses usines. Rio Tinto Alcan, qui produit presque toute l'énergie dont elle a besoin, va rester. Les nouvelles alumineries se construiront ailleurs.

À la rigueur, Québec pourrait consentir aux alumineries des rabais pour 10 ans, soit le temps d'écouler les surplus d'électricité, suggère Jean-Thomas Bernard.

Pierre-Olivier Pineault, HEC Montréal: oui

Le gouvernement devrait se ranger aux arguments des alumineries, croit Pierre-Olivier Pinault. C'est tout à fait pensable de conclure de nouveaux contrats à partage de risque basés sur le prix actuel, qui serait un prix plancher et qui pourrait augmenter avec le prix de l'aluminium et le prix du gaz naturel. Mais le gouvernement devrait commencer à mettre de l'ordre dans la tarification d'Hydro-Québec, qui fait en sorte que les tarifs industriels financent les tarifs résidentiels. «Il faut mettre fin à l'interfinancement, ce qui permettrait de réduire les tarifs des alumineries et ceux de toute l'industrie», dit-il. Les tarifs des autres clients d'Hydro-Québec augmenteraient, mais ce serait en ligne avec les objectifs de développement durable et d'efficacité énergétique du gouvernement, selon lui.

Jean-François Blain, analyste en énergie: peut-être

Jean-François Blain est d'avis que les tarifs réduits consentis aux alumineries ont déjà coûté trop cher aux Québécois. Le maintien des 3300 emplois d'Alcoa coûterait 53 000$ par emploi et par année, a-t-il calculé. «Malheureusement, on n'a pas grand-chose de mieux à faire avec les surplus d'électricité qu'on a», dit-il. Le Québec pourrait donc réduire les tarifs d'électricité, à condition d'exiger des alumineries des contreparties à la hauteur des privilèges consentis. Ces engagements devraient être publics et assortis de pénalités s'ils ne sont pas respectés.

«À mon sens, la meilleure option pour utiliser les surplus d'électricité est de les investir dans la motricité électrique, une industrie qui a plus d'avenir», explique l'analyste. Pour éviter d'être soumise à un chantage récurrent des alumineries et des autres industries énergivores, Hydro-Québec pourrait aussi s'efforcer de conclure des contrats fermes à long terme avec les marchés voisins, comme la Nouvelle-Écosse ou l'Ontario.