La plateforme de forage offre une vue magnifique sur la vallée de la rivière Missouri, mais toute l'attention de Kevin Russel se porte sur ce qui se passe à 3000 m sous la terre.

La foreuse de la société Martin Alliance Drilling, pour laquelle il travaille, termine la portion verticale du puits.

Originaire de Louisiane, Kevin Russel travaille au Dakota-du-Nord depuis deux ans et demi.

« Je suis venu ici pour l'argent, dit-il. Après l'explosion de BP dans le golfe du Mexique en 2008, il y a eu le moratoire pour les forages en mer et toutes les entreprises se sont repliées. »

Après chaque période de 28 jours de travail, il retourne 14 jours dans sa famille.

Dans une roulotte, à l'ombre de la foreuse, une équipe d'ingénieurs calcule dans quel angle se poursuivra la partie horizontale du forage.

C'est cette portion horizontale qui, une fois fracturée avec un mélange d'eau, de sable et de produits chimiques à haute pression, permettra d'extraire le pétrole de la formation Bakken.

Le Dakota-du-Nord faire figure d'eldorado. Sa production de pétrole bat des records. Il y a près de 200 plateformes de forage en activité à tout moment, selon les données de la firme Baker Hughes. Plus que partout ailleurs aux États-Unis, hormis le Texas.

C'est la principale raison pour laquelle la production de pétrole aux États-Unis est à son plus haut depuis 25 ans.

Nouveau champion de la croissance

Mais le pays est dur à aimer, avec ses steppes arides et inhospitalières et son froid glacial l'hiver. Il y a quelques années, les rares fois où le Dakota-du-Nord faisait parler de lui, c'était pour ses villages dépeuplés et poussiéreux. Avec moins de quatre habitants par kilomètre carré et une population qui reculait, l'État ne s'était jamais vraiment remis de la crise des années 30.

Aujourd'hui, c'est le champion de la croissance. Et nulle part n'est-ce plus visible qu'à Williston, ville de 16 000 habitants, officiellement, mais qui héberge des milliers de travailleurs dans des habitations temporaires.

Paul Myers est l'un d'eux. Rencontré au stationnement dans lequel il patrouille au Walmart de Williston, il est garde de sécurité pour Securitas.

Il a quitté son Montana natal, où il était retourné s'installer après 14 ans dans l'armée. « J'avais repris sur les ranchs mais, pour moi, c'était reculer, raconte-t-il. J'étais en train d'enrichir quelqu'un d'autre. »

Son plan : monter dans les échelons de son employeur, plus grande firme de sécurité privée du monde.

Ce faisant, il renonce à s'enrichir rapidement en travaillant sur les plateformes de forage, qui paient 100 000 $ par année.

En attendant, il gagne 19 $ l'heure, ce qui serait insuffisant s'il n'avait pas sa pension de l'armée. Surtout qu'il paie 1000 $ de loyer par mois pour l'emplacement de camping où il vit dans sa roulotte.

« Ils embauchent beaucoup d'ex-militaires dans les champs pétroliers, dit-il. C'est à cause de notre entraînement. C'est juste des gestes machinaux et de l'endurance, 72 heures par semaine, mais c'est trop dur pour le corps. »

Une ressource libérée par la technologie

Le Dakota-du-Nord a connu un premier boom pétrolier au début des années 80. Un boom qui s'est essoufflé rapidement.

Mais cette fois, c'est différent, dit John Cummings, responsable de l'entreprise True Companies, rencontré sur un chantier de forage près de Watford City.

« Dans les années 80, on trouvait du pétrole, mais pas en quantité suffisante, dit-il. Les puits n'étaient pas jugés commercialement viables. Mais les forages horizontaux et la fracturation hydraulique ont rendu le Bakken commercialement viable. »

Une fois la bonne « recette » trouvée, les forages dans le Bakken s'avèrent payants. « Presque tous les puits sont productifs, plus de 90 % », dit M. Cummings.

Des impacts sur l'industrie canadienne

Le gisement Bakken change la donne pour les producteurs canadiens des sables bitumineux. C'est un pétrole léger, de meilleure qualité. Il commande donc un meilleur prix. Et il est entré en concurrence avec le pétrole albertain pour les capacités de transport.

« C'est un concurrent que les producteurs albertains ne voyaient pas venir, explique Pierre-Olivier Pineault, professeur à HEC Montréal. Mais plusieurs sociétés sont impliquées dans les deux ressources. »

Et malgré le boom du Bakken, les États-Unis sont toujours loin de l'autosuffisance. « Les États-Unis consomment 18 millions de barils par jour et ils en produisent 8, dit-il. Le marché est tellement grand qu'il y a de la place pour tout le monde. »

Andrew Leach, professeur à l'Université de l'Alberta, estime que le boom du Bakken a été un facteur dans l'annulation par Suncor du mégaprojet d'usine de traitement (upgrader) Voyageur, qui devait transformer le pétrole lourd des sables bitumineux en pétrole léger.

« Au milieu des années 2000, on s'attendait à une croissance des quantités de pétrole lourd à haute teneur en soufre, dit-il. On s'attendait à des upgraders en Alberta. Et maintenant on voit une croissance dans le pétrole léger. »

La question qui est sur toutes les lèvres, maintenant : est-ce que la « révolution » Bakken est exportable ? « On n'a pas de consensus sur la présence de ressources semblables dans d'autres pays, dit M Leach. Mais on sait que la technologie est supérieure aux États-Unis. »