Trois géants du pétrole, de même que l'agence d'information Platts, sont soupçonnés par la Commission européenne d'avoir manipulé le prix du brut de la mer du Nord et floué des millions de consommateurs, y compris peut-être au Québec et dans les provinces atlantiques.

Les bureaux des entreprises britanniques Shell et BP de même que ceux de la norvégienne Statoil ont été perquisitionnés mardi par les autorités européennes à la recherche de preuves pour étayer des soupçons de pratiques anticoncurrentielles.

La moitié de la planète consomme du pétrole dont le prix est basé sur celui du Brent de la mer du Nord, y compris le Québec et les Maritimes, les seuls en Amérique du Nord où l'étalon américain, le West Texas Intermediate (WTI), est dominant.

Pour le moment, il ne s'agit que de soupçons, mais si ces soupçons sont fondés, les prix de l'essence et ceux d'une multitude de produits et services dérivés du pétrole pourraient avoir été faussés pendant des années, peut-être même depuis 2002, selon les informations qui circulaient hier.

Le branle-bas déclenché par la Commission européenne au sujet de la fixation du prix du Brent rappelle le scandale lié à la fixation du taux d'intérêt interbancaire, ou LIBOR, qui s'est traduit par des amendes records imposées à des acteurs majeurs du secteur financier comme UBS, Barclays et Royal Bank of Scotia.

Nébuleux

Le processus de fixation des prix du pétrole de la mer du Nord est basé sur les déclarations volontaires des courtiers et des acheteurs de brut, compilées par des firmes spécialisées, dont Platts, filiale de l'éditeur McGraw-Hill, est la plus ancienne et la plus importante.

Nébuleux, ce processus suscite depuis longtemps l'inquiétude des organismes de réglementation parce qu'il peut être manipulé par les participants pour servir leurs propres intérêts.

L'International Organization of Security Commissions, le shérif des marchés financiers, s'y intéresse particulièrement depuis que le géant pétrolier français Total lui a fait part qu'il arrivait assez souvent que le prix du pétrole publié chaque jour ne corresponde pas à la réalité.

Même imparfaits, les prix résultant de ce processus sont très largement utilisés, et pas seulement dans le secteur pétrolier.

La ligne Borden

Le Québec et les provinces maritimes importent du brut dont le prix est fixé sur celui du Brent de la mer du Nord parce que son prix était historiquement plus bas que celui du pétrole canadien.

C'est en 1961, sous le gouvernement de John Diefenbaker, qu'on a décidé que le pipeline transcanadien pour transporter le pétrole de l'Alberta s'arrêterait en Ontario. La ligne Borden, du nom de la commission présidée par Henry Borden, a donc établi que les raffineries situées à l'est de la rivière des Outaouais continueraient de s'approvisionner sur les marchés internationaux.

Pendant des années, le prix du Brent de la mer du Nord et le prix de référence du reste du continent, le West Texas Intermediate (WTI), ont été semblables. Depuis trois ans, le Brent de la mer du Nord coûte plus cher que le WTI et encore plus cher que le pétrole canadien issu des sables bitumineux, qui est de moins bonne qualité.

C'est la raison pour laquelle les raffineries qui survivent dans l'Est, dont celles de Suncor à Montréal et d'Ultramar à Lévis, sont favorables à l'inversion du pipeline d'Enbridge qui les approvisionne en pétrole importé. L'inversion de la ligne 9 leur permettrait de troquer le brut importé dont le prix est lié au Brent pour du pétrole canadien moins cher.

Impact incertain

Pour le moment, l'incidence de ces nouveaux soupçons de collusion sur les consommateurs et sur le marché pétrolier reste à voir. Les actions de BP, Shell et Statoil, une société dont la division de commerce de détail a été achetée par Alimentation Couche-Tard l'an passé, étaient légèrement en baisse hier, un signe que les investisseurs ne sont pas trop inquiets de leur capacité à réagir à ces événements.

Le titre de l'éditeur McGraw-Hill, propriétaire de Platts, a clôturé en légère hausse.

La firme de crédit Standard&Poor's, une autre des filiales de McGraw-Hill, se débat actuellement avec le département américain de la Justice qui l'accuse d'avoir sous-estimé le risque associé à certains produits dérivés entre 2004 et 2007, ce qui aurait contribué à précipiter l'économie mondiale dans la crise financière en 2008.

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PAYS OÙ S'APPROVISONNE LE QUÉBEC

Proportion des approvisionnements:

- Algérie (28,1 %)

- Royaume-Uni (16,1 %)

- Est canadien (11, 9 %)

- Autres

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Valeur totale des importations de pétrole en 2010:

12,0 Milliards 

(Ce montant est passé à 13,7 milliards pour l'année 2012.)

Déficit de la balance commerciale en 2010:

18,7 Milliards

(En 2012, la balance commerciale était toujours dans le rouge à 22,2 milliards de dollars.)

Sources : Institut de la statistique du Québec, ministère des Ressources naturelles