Depuis l'annonce de la fermeture de la centrale Gentilly-2, libéraux et péquistes s'accusent mutuellement d'avoir lancé le Québec sur la voie coûteuse de l'énergie nucléaire. En fait, l'aventure nucléaire du Québec remonte au début des années 60 et les deux partis en sont responsables, pour des motifs logiques: c'était l'énergie de l'avenir, qui s'annonçait moins coûteuse que toutes les autres filières énergétiques.

«À l'époque, l'hydroélectricité était la forme d'énergie la plus coûteuse, rappelle Yves Duhaime, qui a été ministre de l'Énergie et ministre des Finances entre 1981 et 1985. Le gaz naturel était pratiquement donné, le pétrole aussi.»

Quand le gouvernement de René Lévesque prend le pouvoir en 1976, la centrale Gentilly-2 est en construction depuis trois ans. Le gouvernement fédéral a déjà créé Énergie atomique du Canada, qui a recruté en 1963 le président d'Hydro-Québec à son conseil d'administration.

Le premier ministre Jean Lesage y a vu une façon d'attirer au Québec une partie des gigantesques investissements fédéraux dans cette nouvelle technologie, rappelle Robert Bothwell dans son livre sur l'histoire d'Énergie atomique du Canada. Ceux qui ont succédé à Jean Lesage, Daniel Johnson et Robert Bourassa, n'ont pas voulu tourner le dos à cette filière prometteuse. «Au cours de son premier mandat, Robert Bourassa a lancé le chantier de la Baie-James et donné son feu vert à la construction de Gentilly-2», souligne Yves Duhaime.

La crise de l'énergie de 1973, qui fait grimper le pétrole à des niveaux records, donne une nouvelle impulsion au nucléaire. Au Québec, cette filière est de plus en plus considérée comme un complément au développement hydroélectrique.

L'ancien ministre péquiste ne digère pas qu'on accuse les péquistes d'être des nucléaires alors que les libéraux étaient des hydroélectriques, comme l'a fait l'ancien ministre libéral Raymond Garneau. Il reconnaît que les péquistes avaient critiqué le projet de développement de la Baie-James et convient aussi que Jacques Parizeau était en faveur du développement du nucléaire.

C'est toutefois un gouvernement péquiste qui a imposé un moratoire sur le développement de la filière. Guy Joron, ministre de l'Énergie du gouvernement Lévesque, estime même qu'avoir imposé ce moratoire est le meilleur coup de sa carrière politique.

Six centrales

Ce moratoire n'a pas été imposé pour des motifs écologiques ou environnementaux, se souvient Yves Duhaime. «On n'était pas effrayés par ça. Il restait la question de la disposition des déchets, mais on se disait qu'avec tous les pays qui y travaillaient, une solution serait trouvée», explique-t-il.

Le moratoire s'est imposé pour des raisons économiques. Les coûts de construction grimpaient plus vite que les besoins en énergie des Québécois. «La Baie-James était en marche et on se dirigeait vers des surplus importants d'électricité», explique-t-il.

Député de la Mauricie, Yves Duhaime a dû défendre cette décision très mal accueillie dans sa région. C'était se priver d'investissements colossaux, même vus avec les yeux d'aujourd'hui.

Hydro-Québec avait fait miroiter la possibilité de construire au moins quatre autres centrales autour de Gentilly-1 et de Gentilly-2. Ottawa s'était aussi engagé à construire une usine d'eau lourde au coût de 800 millions de dollars pour alimenter ces centrales. La suite est plus connue. Ottawa a refusé d'achever la construction de l'usine d'eau lourde et le gouvernement suivant dirigé par Brian Mulroney a créé le Fonds La Prade afin d'indemniser la région de la Mauricie pour les investissements qui ne se sont jamais concrétisés.

Gentilly-2 a finalement été terminée et mise en service en 1983. La facture, qui devait être de 305 millions, a atteint 1,3 milliard, divisée à parts égales entre le fédéral et Hydro-Québec. Le projet de Gentilly-3, même s'il avait fait l'objet d'un accord avec Ottawa, ne s'est jamais réalisé.

Une fois le projet de la Baie-James achevé, le Québec s'est retrouvé avec des surplus considérables qu'il a tenté d'écouler en attirant des alumineries avec des tarifs très bas.

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Les dates importantes

1963

Le président d'Hydro-Québec, Jean-Claude Lessard, est nommé au conseil d'administration d'Énergie atomique du Canada.

1966

Le gouvernement de Jean Lesage donne son accord au choix du terrain à Bécancour pour construire une première centrale nucléaire au Québec.

1967

Le gouvernement suivant dirigé par Daniel Johnson avalise le développement de l'industrie nucléaire.

1972

Hydro-Québec prévoit que l'énergie nucléaire représentera une part importante de son portefeuille énergétique et planifie la construction de Gentilly-3, Gentilly-4, Gentilly-5 et Gentilly-6.

1973

Le gouvernement de Robert Bourassa lance le développement de la Baie-James et donne le feu vert à la construction d'une deuxième centrale nucléaire à Bécancour.

1977

Le gouvernement du Parti québécois élu en 1976 impose un moratoire sur le développement nucléaire et Ottawa menace de ne pas construire la centrale d'eau lourde La Prade qui devait alimenter Gentilly-2.

1978

Ottawa et Québec arrivent à un compromis qui prévoit l'achèvement de Gentilly-2 et la construction d'une troisième centrale, mais le projet ne verra jamais le jour.

1983

Entrée en service de Gentilly-2.

2008

Hydro-Québec annonce la réfection de Gentilly-2 au coût de 1,9 milliard ou 7,2 cents le kilowattheure.

2012

Le gouvernement nouvellement élu de Pauline Marois annonce l'abandon du projet de réfection et Hydro-Québec indique le coût a augmenté à 4 milliards ou 9,7 cents le kilowattheure.