Vingt ans après s'être installé en Birmanie dans des conditions très critiquées, le géant pétrolier français Total va y étendre ses activités, comme l'y avait invité la prix Nobel Aung San Suu Kyi, à la faveur de l'ouverture démocratique en cours dans ce pays du Sud-Est asiatique.

Total a annoncé lundi avoir acquis 40% d'un permis d'exploration au large de la Birmanie auprès du groupe pétrolier thaïlandais PTTEP, réalisant ainsi son premier investissement d'envergure dans le pays depuis 1998.

Avec cette opération, le groupe concrétise sa volonté, affichée depuis plusieurs mois, de développer ses activités birmanes, grâce à la démocratisation à l'oeuvre dans le pays.

La semaine dernière, Total avait confirmé s'apprêter à signer un contrat dans l'exploration gazière, un domaine auquel il avait dit s'intéresser en juillet.

Cet investissement, dont le montant n'a pas été précisé, marque un nouveau chapitre dans les relations tourmentées entre Total et la Birmanie.

Total est présent dans l'ex-colonie britannique depuis 1992, grâce à la signature d'un contrat avec la compagnie nationale d'hydrocarbures, la MOGE.

En vertu de cet accord, il exploite depuis 2000 le gisement gazier sous-marin de Yadana, lequel alimente notamment des centrales électriques en Thaïlande, via un gazoduc sous-marin et terrestre de plus de 400 km de long.

Cette présence a été vivement critiquée ces vingt dernières années, plusieurs organisations de défense des droits de l'homme ayant reproché au groupe français d'enrichir la junte qui était au pouvoir jusqu'à l'an dernier.

Total a cependant toujours défendu ses activités dans le pays, affirmant que le développement économique et social et la démocratisation allaient de pair.

Image ternie

Au début du millénaire, le dossier birman avait contribué à ternir l'image du groupe, assombrie par une cascade de crises (naufrage de l'Erika en 1999, explosion de l'usine AZF en 2001...).

En 2002, huit travailleurs birmans avaient porté plainte en France contre le groupe, lui reprochant d'avoir dû travailler sans rémunération à la construction du gazoduc de Yadana, sous la contrainte de l'armée birmane.

L'année suivante, un rapport de Bernard Kouchner avait jeté de l'huile sur le feu: commandé et financé par le groupe pétrolier, il concluait qu'il n'avait jamais eu recours au travail forcé pour construire le gazoduc de Yadana. Une position qui avait été vivement critiquée par la Fédération internationale des droits de l'Homme (FIDH).

Malgré les démentis répétés du groupe, la justice avait reconnu la réalité du travail forcé en 2006, mais Total avait bénéficié d'un non-lieu, car les faits reprochés n'étaient pas sanctionnés par le droit français.

Le pétrolier s'était engagé à verser 10 000 euros (12 000 dollars CAN) à chacun des plaignants, contre le retrait de leurs plaintes, et à créer un fonds de solidarité de 5,2 millions d'euros (6,4 millions de dollars CAN) destiné à des actions humanitaires en Birmanie.

Après ces années de controverses, le contexte a changé radicalement l'an dernier pour le groupe français, à la faveur du vent de réformes qui souffle sur le pays depuis l'an dernier.

La junte a cédé le pouvoir à un nouveau régime qui multiplie les réformes sans effusion de sang, des centaines de dissidents ont été libérés et la lauréate du prix Nobel de la paix Aung San Suu Kyi est devenue députée.

Et depuis, la «lady prix Nobel», comme la surnomme le PDG de Total Christophe de Margerie, a multiplié les gestes d'apaisement et les encouragements au groupe français et aux autres multinationales du secteur à investir dans son pays.

«Je trouve que Total est un investisseur responsable, même s'il y a eu» des interrogations du temps de la junte militaire, mais «aujourd'hui il est sensible aux questions relevant des droits de l'Homme», avait-elle déclaré lors d'une conférence de presse à Genève.

Pour sceller cette nouvelle ère, le patron de Total s'est rendu en personne début juin en Birmanie, où, chose impensable il y a quelques années, il a rencontré la célèbre opposante birmane.