La mine Jeffrey, relancée à coups de millions de dollars grâce au gouvernement du Québec, servira notamment à approvisionner les usines de Thaïlande du principal partenaire du projet. Or, la Thaïlande veut interdire totalement l'amiante au cours des prochains mois.

Le principal financier privé du projet est la société Ulan Marketing, de Thaïlande. Elle injecte 14 millions dans la relance de la mine Jeffrey, selon nos informations, tandis que le gouvernement prend le risque de prêter 58 millions. Deux autres partenaires canadiens investissent 11 millions.

Ulan Marketing fait partie d'une famille d'entreprises thaïlandaises connue sous le nom d'Oran Vanich Co., selon nos recherches. Ulan partage son adresse et son numéro de téléphone avec ce groupe, qui est le premier producteur de produits de construction utilisant de l'amiante en Thaïlande, avec cinq usines et 1000 employés.

Résolution pour l'interdiction

En avril 2011, les autorités thaïlandaises ont adopté une résolution visant à interdire totalement l'amiante, notamment son importation. La résolution a été proposée par la Commission nationale de la santé de la Thaïlande, présidée par le premier ministre, indique le site internet de la Commission. Le train de mesures visant l'interdiction de l'amiante sera présenté en septembre.

La Thaïlande a le deuxième plus haut taux d'utilisation d'amiante par habitant, après la Russie. Elle utilise l'amiante dans ses produits depuis 70 ans et les autorités craignent maintenant les effets hautement cancérigènes du produit, écrit la Commission dans sa résolution, obtenue par La Presse.

Ulan Marketing est non seulement le principal financier de la mine Jeffrey, mais il est aussi l'un des gros clients de la mine Jeffrey depuis 25 ans. Le porte-parole de l'entreprise, Guy Versailles, a confirmé à La Presse qu'Ulan Marketing est affiliée à Oran Vanich et qu'elle «entend s'assurer d'un approvisionnement en fibre chrysotile [avec la mine Jeffrey] pour ses activités en Thaïlande».

M. Versailles n'a pas souhaité faire de commentaires au sujet du projet de bannissement de l'amiante en Thaïlande, mais fait une mise en garde contre ces informations. «J'entends cette question de l'interdiction dans plusieurs pays depuis longtemps. Il flotte des rumeurs, des papiers, mais ça ne se fait jamais», a-t-il dit.

En juillet 2011, Oran Vanich a pourtant déposé une poursuite devant les tribunaux thaïlandais contre la résolution, selon ce qu'indique le site officiel de la Commission nationale de la santé de Thaïlande.

Sans danger, dit l'entreprise

De plus, l'organisation a publiquement mis en doute la dangerosité de l'amiante à quelques reprises. En août 2011, le directeur général d'Oran Vanich, Uran Kriewsakul, a déclaré que les tuiles pour la toiture que l'entreprise fabrique avec de l'amiante «ne posent aucun risque pour la santé».

Et il y a deux semaines, il en a rajouté: «Il n'a pas été prouvé que l'amiante cause la mort. Si la Thaïlande y met fin, ce sera l'équivalent d'exécuter un innocent», a-t-il affirmé dans un forum public sur le sujet. Ses propos ont été reproduits dans un compte rendu réalisé par la Commission nationale de la santé de Thaïlande.

La réalité est bien différente, selon l'Organisation mondiale de la santé (OMS). Chaque année, plus de 100 000 personnes meurent d'une maladie liée à l'amiante (amiantose, cancer du poumon, etc.). Les études sur le sujet foisonnent et s'accordent pour soutenir que tous les types d'amiante sont cancérigènes, même la forme la moins nocive (chrysotile blanc).

La Thaïlande est l'un des plus gros importateurs d'amiante du monde, mais le pays n'a pratiquement aucun contrôle sur son utilisation. Elle n'a pas de guide d'utilisation en milieu de travail, pas de registres des immeubles qui en contiennent et pas de directives pour la gestion des rebuts contenant de l'amiante, selon le rapport de la Commission nationale de la santé de Thaïlande.

Là-bas, l'industrie demande au gouvernement des délais avant d'interdire totalement l'amiante. Certains fabricants de tuiles pour toiture - principal produit utilisant l'amiante - ont commencé à remplacer le chrysotile dans leurs procédés, mais ce n'est pas le cas d'Oran Vanich, qui soutient que l'interdiction nuira à l'économie du pays. «La demande pour ce type de tuiles pour toiture est si élevée que nos usines fonctionnent 24 heures par jour», a déclaré M. Kriewsakul, DG d'Oran Vanich.

Certains fabricants thaïlandais utilisent des méthodes peu orthodoxes pour s'opposer au bannissement. Le printemps dernier, des producteurs de matériaux de construction non identifiés ont distribué des dépliants et des t-shirts affirmant que l'amiante chrysotile était sans danger et certifié par l'OMS. Des représentants de l'OMS ont même dû tenir une conférence de presse pour nier ces faits, rapporte le quotidien Bangkok Post. «Il n'y a aucun niveau d'exposition sécuritaire à aucune forme d'amiante», a alors rappelé un porte-parole de l'OMS.

Chez Investissement Québec, qui gère le prêt de 58 millions du gouvernement, on n'était pas au courant du projet d'interdiction de l'amiante en Thaïlande. L'organisme ne se dit pas inquiet pour autant. «Ils ont plusieurs clients concentrés dans plusieurs pays», a dit la porte-parole, Chantal Corbeil.

- Avec la collaboration de Charles Côté