Dans la seule journée d'hier, deux géants des pâtes et papiers ont fait la nouvelle: Catalyst s'est placée sous la protection de la loi de la faillite et Fortress a ressuscité l'usine de Lebel-sur-Quévillon fermée par Domtar en 2005. Deux événements contradictoires qui illustrent bien la situation actuelle de l'industrie au Canada, un pied dans le passé et l'autre dans l'avenir.

Les porte-parole de l'industrie préfèrent se tourner vers l'avenir. «Le pire est derrière nous», assure Avrim Lazar, le président-directeur général de l'Association canadienne des pâtes et papiers, au cours d'un entretien avec La Presse Affaires en marge de la rencontre annuelle de l'industrie qui se tient cette semaine à Montréal.

Malgré les fermetures qui se poursuivent au Québec, comme chez Produits forestiers Résolu et White Birch, le ciel s'est nettement éclairci depuis un an, selon Avrim Lazar.

«Je ne veux pas dire que tout le monde dans l'industrie chante et danse, mais par comparaison avec l'an dernier, ça va mieux.»

Il y a au Canada 6000 emplois de plus que l'an dernier dans l'industrie, soutient-il. Les patrons des entreprises, qui encore l'an dernier n'avaient aucune idée de la direction à prendre, ont aujourd'hui un plan de match et du financement pour le mener à bien.

«Est-ce que ça veut dire que nous allons récupérer tous les emplois perdus? Non, mais ça veut dire qu'on peut garder les emplois qui restent.»

Avec son investissement de 232 millions de dollars annoncé hier, accompagné d'un prêt de 132 millions d'Investissement Québec, Fortress Paper redonnera un emploi à seulement 300 des 700 personnes au travail quand l'usine a fermé en 2005.

Au cours des dernières années, le nombre d'emplois dans l'industrie a fondu, passant de 350 000 à 240 000. L'adaptation des entreprises à la hausse du dollar, à l'augmentation du coût des approvisionnements en fibre et à l'effondrement du marché américain a coûté très cher, en emplois perdus et lourdes pertes inscrites au bilan des entreprises.

Ça devrait changer cette année, selon Avrim Lazar, qui estime que l'industrie dans son ensemble sera rentable en 2012.

Nouveaux défis

Les changements en cours sont majeurs. le modèle d'affaires traditionnel du bois-d'oeuvre-pâte-papier n'est plus viable. «On sait aujourd'hui que la première transformation de la ressource forestière doit se faire là où sont les arbres, explique M Lazar. Mais la deuxième, pour être rentable, doit se faire près des marchés.»

Comme la première transformation a moins de retombées économiques que la fabrication de papier et autres produits finis, l'industrie devra trouver des moyens d'ajouter de la valeur aux activités forestières.

Avrim Lazar donne l'exemple du bois d'ingénierie, qui se vend plus cher que le bois d'oeuvre traditionnel, des biocarburants fabriqués à partir de déchets forestiers, et des produits comme la nanocellulose cristalline, un nouveau matériau aux applications multiples dans l'industrie automobile et aéronautique. «L'an passé, la nanocellulose était encore une idée et cette année, c'est une usine», a souligné M. Lazar, en parlant des installations qui viennent d'être inaugurées par Domtar et son partenaire, FP Innovation à Windsor.

La pâte à usage textile ou pâte dissolvante, comme celle que fabrique Fortress à Thurso et bientôt à Lebel-sur-Quévillon, est aussi considérée comme un produit d'avenir.

Ce type de pâte spécialisé sert à fabriquer de la rayonne pour les vêtements et autres textiles. Il s'agit d'un produit fabriqué depuis longtemps, mais qui a retrouvé récemment la faveur du marché en raison de l'augmentation des prix du coton, dont il est un substitut.

Tembec en fabrique dans deux de ses usines, à Témiscaming et à Tartas en France. Après avoir sérieusement songé à sortir de ce secteur, l'entreprise estime aujourd'hui que la pâte dissolvante est une de ses activités les plus rentables.

Hier, le marché a salué la décision de Fortress d'augmenter sa capacité de production de pâte à usage textile en faisant grimper le prix de son titre de plus de 15%. Les transactions ont même été suspendues avant l'annonce du rachat pour un dollar symbolique de l'usine de Domtar à Lebel-sur-Quévillon pour y fabriquer ce type de pâte. L'action de Fortress a fini la journée à 39,42$, en hausse de 5,38$.