L'est du pays n'a pas de pétrole, mais de l'électricité en abondance à vendre sur le marché américain. Les trois projets de nouvelles interconnexions en négociations rencontrent autant d'opposition que les pipelines de l'Ouest.

Chez Hydro-Québec, on se croise les doigts pour qu'au moins un des deux liens projetés entre la frontière du Québec et le marché de New York se concrétise. La société d'État est partenaire d'un de ces deux liens, Northern Pass, et a soutenu l'autre, Champlain Hudson Power Express, devant les autorités américaines de réglementation.

Le but d'Hydro-Québec est bien sûr d'écouler plus d'énergie sur les marchés américains alors qu'elle est en train d'augmenter considérablement sa capacité de production. Son projet Northern Pass pourrait acheminer 1200 mégawatts supplémentaires vers New York, en passant par le New Hampshire.

Le projet est bloqué dans cet État, où les promoteurs tentent de trouver des tracés moins contestés. «Le New Hampshire n'a rien à gagner dans ce projet, qui ne fait que traverser l'État», explique Jean-Thomas Bernard, de l'Université d'Ottawa. Personne ne veut d'une ligne électrique dans son paysage, particulièrement quand l'énergie qu'elle transporte est destinée à d'autres.

Le professeur doute que ce projet puisse se réaliser, en raison de l'ampleur de l'opposition.

C'est peut-être la raison qui a poussé Hydro à appuyer un projet concurrent, celui de Champlain Hudson Power Express, qui vise les mêmes marchés, mais avec une technologie plus audacieuse.

Transmission Developpers, le prometteur de ce projet, veut faire passer de l'électricité entre le Québec et New York par un câble enfoui sous le lac Champlain et la rivière Hudson. Il s'agit d'un projet qui a le mérite d'éliminer l'impact visuel de la ligne de transport, mais qui coûte plus cher et qui pose des défis techniques. Pour ces raisons, Jean-Thomas Bernard croit que le projet Champlain Hudson Power Express sera difficile à mettre en branle.

L'Express n'avance pas vite, mis il a déjà franchi quelques étapes. Le mois dernier, une firme mise sur pied par un ancien dirigeant d'Hydro-Québec, Énergie Bellator, a réservé pour 43 ans un droit de passage sur la ligne d'Hydro-Québec qui sera reliée à la future interconnexion.

La grande inconnue

Après avoir tenté en vain de s'entendre avec Hydro-Québec, le gouvernement de Terre-neuve a décidé de développer lui-même les ressources hydroélectriques du Bas-Churchill. Il s'agit du dernier grand projet hydroélectrique à bas coût qui reste à développer dans cette partie du pays.

Terre-Neuve n'a pas besoin de toute l'énergie qui sera produite par la phase 1 du développement du Bas-Churchill, et doit en vendre une partie à ses voisins pour rentabiliser le projet.

Comme Hydro-Québec lui a refusé le droit de passage sur son réseau pour acheminer son électricité en Nouvelle-Angleterre, Terre-Neuve a mis en oeuvre son plan B. L'électricité du Bas-Churchill voyagera d'abord par voie aérienne et sous-marine du Labrador jusqu'à l'île de Terre-Neuve. De là, un conduit sous-marin de 180 kilomètres l'acheminera vers la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick, qui est relié au réseau américain.

Au total, l'investissement requis s'élève à 3,3 milliards uniquement pour le transport de l'énergie. Sans la contribution promise par le gouvernement fédéral, Terre-Neuve et son partenaire de la Nouvelle-Écosse, Emera, n'auraient probablement pas la capacité financer ce mégaprojet.

Selon Jean-Thomas Bernard, les quantités d'énergie en cause dans ce projet sont insuffisantes pour atteindre la rentabilité. Des 824 mégawatts qui seront produits à la future centrale Muskrat Falls, 400 seront destinés à Terre-Neuve et 200 autres iront en Nouvelle-Écosse et à l'Île-du-Prince-Édouard. Il restera à peine un peu plus de 200 mégawatts pour les marchés de la Nouvelle-Angleterre. «Il faut se demander si ça peut justifier de tels investissements, souligne le professeur. C'est beaucoup d'argent pour peu de capacité».

Comme beaucoup d'autres, Jean-Thomas Bernard est convaincu que la meilleure solution pour Hydro-Québec et pour Terre-Neuve serait de s'entendre pour développer le Bas-Churchill et acheminer cette énergie à travers le réseau québécois vers les marchés américains. Les deux parties y trouveraient leur compte, selon lui, parce que les ressources potentielles du Bas-Churchill sont moins coûteuses à développer que la Romaine, et que le transport de cette énergie via le Québec coûterait infiniment moins cher que par la voie sous-marine.

Le prix de l'électricité sur les marchés de la Nouvelle-Angleterre sont bas et risquent de le rester en raison de l'abondance de gaz naturel, qui tire les prix vers le bas. La rentabilité des exportations est aussi plus incertaine en raison de l'augmentation de la valeur du dollar canadien, ce qui rend les projets d'interconnexions plus risqués.