Le responsable fédéral de l'évaluation environnementale d'un gros projet d'exploration d'uranium dans le Nord-du-Québec est aussi consultant pour l'industrie minière, a appris La Presse. Le gouvernement fédéral n'y voit aucun problème, mais ce n'est pas l'avis de plusieurs personnes ayant participé aux audiences publiques.

Benoit Taillon préside le Comité fédéral d'examen-Sud (COFEX-Sud), qui étudie depuis trois ans le projet très controversé d'exploration d'uranium de la compagnie Strateco. Ce projet sera l'un des premiers à profiter d'un volet important du Plan Nord, soit le prolongement de la route 167 au nord de Chibougamau.

Le COFEX a tenu des audiences publiques sur ce projet avec le Comité provincial d'examen, également créé en vertu de la Convention de la Baie-James. À l'exception des maires de Chibougamau et de Chapais, tous les participants ont dénoncé le projet. C'est le cas des Cris. Leur crainte: que l'activité minière libère des éléments radioactifs pouvant contaminer l'eau dans les monts Otish, source de plusieurs grandes rivières.

Le COFEX a noté l'absence d'acceptabilité sociale, mais il a remis un rapport globalement favorable à Strateco. «Si les mesures d'atténuation proposées sont mises en oeuvre, le projet d'exploration souterraine Matoush n'est pas susceptible de causer d'effet environnemental négatif important sur les milieux humain, biophysique et biologique», conclut le rapport, diffusé en juillet.

La plupart des participants aux audiences publiques pensaient que M. Taillon était seulement employé par le gouvernement. Il a déjà été fonctionnaire, surtout à Environnement Canada. Mais en 1987, il est devenu consultant. Il est entré au COFEX 10 ans plus tard, ce qui ne l'a pas empêché d'obtenir des contrats pour des sociétés minières comme New Millennium, Tata Steel, Rio Tinto et BHP Billiton.

New Millenium et Tata, le géant indien de la sidérurgie, projettent d'exploiter des mines de fer à la frontière du Québec et du Labrador. M. Taillon a négocié des ententes pour leur compte avec les Innus de Matimekush-Lac-John (Schefferville) jusqu'en juin.

Il est aussi consultant pour Rio Tinto au Québec et à Madagascar. Selon un rapport du London Mining Network, cette multinationale a déplacé des populations à Madagascar et causé de sérieux dommages à l'environnement afin d'extraire un mélange de fer et de titane et l'exporter à son usine de Sorel. Enfin, M. Taillon a négocié avec les communautés locales de plusieurs pays pour BHP Billiton, la plus grande société minière du monde.

Malgré cela, l'Agence canadienne d'évaluation environnementale, de qui relève le COFEX, estime que M. Taillon n'a aucun préjugé en faveur des sociétés minières lorsqu'il étudie le projet d'exploration d'uranium «Matoush» de la junior Strateco dans les monts Otish.

«Le président du COFEX est impliqué dans certains projets miniers, mais ces projets ne sont aucunement liés ou concurrents avec le projet Matoush, a dit Céline Legault, porte-parole de l'Agence. Il n'entretient aucun lien d'affaires avec le promoteur. Il n'y a pas de conflit d'intérêts.»

Joint au téléphone, M. Taillon se défend lui aussi d'être dans une situation conflictuelle. Il croit que le COFEX profite de son expérience de consultant. Le public ne risque-t-il pas de penser qu'il a un biais favorable à l'industrie minière? «Oui, tout à fait, a-t-il répondu. Bien sûr, c'est une question de perception. Mais à ce jour, ça n'a été que rarement relevé.»

Jonathan Genest-Jourdain, député néo-démocrate de Manicouagan (une circonscription touchée par les projets de Tata Steel), ne remet pas en question son intégrité. Mais la perception est importante, ajoute-t-il.

«L'apparence de conflit d'intérêts est aussi problématique que le conflit d'intérêts en soi. Si le principal intéressé est en mesure de voir que l'opinion générale serait portée à penser qu'il y a un conflit, c'est donc qu'il y a matière à se questionner. Ce type de situation s'est déjà vu dans le passé. Le monde de l'industrie minière est un cercle fermé: tout le monde se connaît.»

«C'est problématique et préoccupant, renchérit Ramsey Hart, de Mining Watch, qui a participé aux audiences sur le projet d'uranium de Strateco. Ce n'est pas vraiment possible pour quelqu'un qui travaille pour l'industrie minière d'être critique de cette industrie.»

Ugo Lapointe, de la Coalition pour que le Québec ait meilleure mine, se montre cinglant: «Vous m'apprenez que M. Taillon est consultant pour l'industrie minière: ça n'a pas d'allure! s'est-il exclamé. Ça remet en question toute l'impartialité du COFEX. C'est comme si le président du BAPE [le Bureau d'audiences publiques sur l'environnement] était consultant pour l'industrie: ça n'aurait aucun sens.»

Richard Shecapio, chef des Cris de Mistissini, ignorait lui aussi que M. Taillon était lié à l'industrie minière. Il estime que «les gens impliqués dans de tels comités d'étude devraient s'abstenir de toute intervention dans des enjeux relatifs au secteur minier».

Vers les métaux précieux

Le prolongement de la route 167 sur 243 km au nord de Chibougamau est le projet le plus avancé du Plan Nord. Le ministère des Transports termine actuellement les appels d'offres pour le premier tronçon de la route. Elle coûtera au total 332 millions, dont 288 millions de fonds publics. La route diminuera de beaucoup les coûts d'exploration des gisements d'uranium qu'elle traversera.

Les prospecteurs pourront l'utiliser pour accéder plus facilement au territoire et transporter leur matériel. Les entreprises minières participeront aux coûts de la route, de façon limitée, seulement quand elles commenceront l'exploitation.

Certains avancent déjà que la route pourrait se poursuivre jusque dans la baie d'Ungava. Un port en eaux profondes pourrait éventuellement y être aménagé, tel qu'évoqué dans une étude sur la construction d'un chemin de fer vers Kuujjuaq, commandée par le ministère des Transports. Dans un tel cas, le minerai d'uranium pourrait emprunter cette voie pour être exporté, plutôt que d'être dirigé vers les ports du Saint-Laurent où l'opposition à l'uranium est très forte.