Quand les prix à la pompe grimpent de 10 cents d'un coup, comme c'est encore arrivé hier à Montréal, les malédictions des automobilistes pleuvent sur les habituels coupables, spéculateurs, raffineurs et détaillants trop voraces. Il faut maintenant ajouter à cette liste le prix du Brent de la mer du Nord.

Les raffineries du Québec et de la côte est américaine utilisent en effet un pétrole brut qui vient de la mer du Nord ou dont le prix est fixé en fonction du Brent, comme on l'appelle. Et le Brent européen se vend plus cher que le West Texas Intermediate (WTI) des États-Unis, l'autre prix de référence international pour le pétrole.

Les prix de ces deux références de l'industrie ont toujours été pratiquement les mêmes et ils évoluaient traditionnellement de la même façon. Ce n'est plus le cas depuis cette année, alors que les chemins du Brent et du WTI se sont séparés. L'écart entre les prix est actuellement à un niveau jamais vu. Hier, le WTI a fini la journée à 84,23$US (-1,34$) et le Brent, à 111,11$US (-0,25$ US), une différence de 26,88$ US.

La demande pour le brut américain a fléchi en même temps que l'activité économique aux États-Unis. Par ailleurs, l'offre a augmenté sur le marché américain, avec l'augmentation de la production dans de nouveaux gisements comme celui de Bakken, au Dakota-du-Nord, et la hausse des importations de pétrole canadien.

De l'autre côté de l'océan, au contraire, la demande n'a pas diminué et l'offre a été réduite en raison de l'arrêt de la production en Libye, ce qui explique principalement l'écart entre les deux prix de référence.

Des marges élastiques

Les raffineries de l'est du Canada et des États-Unis n'ont pas accès au pétrole abondant et moins cher du continent, parce qu'il n'existe pas encore de pipeline pour l'acheminer. Le projet Trailbreaker, qui inverserait le flot du pipeline Portland-Montréal pour acheminer du brut de l'Ouest de ce côté-ci du continent, leur donnerait un accès à du pétrole moins cher que le Brent.

En attendant, elles paient donc plus pour leur matière première, ce qui a un effet sur les prix à la pompe.

La fermeture de plusieurs raffineries à l'Est, comme celle de Shell à Montréal et celles, annoncées, de ConocoPhillips (une usine) et de Sunoco (deux usines) à Philadelphie, contribue également à maintenir les prix élevés. Les trois raffineries américaines ont une capacité de 700 000 barils par jour tandis que celle de Shell traitait 130 000 barils par jour.

«Si vous retirez presque 1 million de barils du marché, ça aura certainement un impact sur les prix», expliquait récemment l'analyste Sandy Cohan, de la firme Energy Security Analysis, au Wall Street Journal.

La réduction de la capacité de raffinage dans l'est du continent américain a aussi pour effet d'augmenter les importations de produits raffinés, ce qui peut aussi faire augmenter les prix à la pompe.

Mais aucun de ces facteurs ne peut expliquer les bonds de 10 cents qu'on voit dans les stations-service de Montréal. Cette extrême volatilité est une particularité du marché local qui est le symptôme, selon le porte-parole de l'industrie, Carol Montreuil, d'une surcapacité chez les détaillants. «Il y a des guerres de prix et le marché se rajuste après avoir fonctionné pendant plusieurs jours à perte», a-t-il expliqué hier.

À 1,41$ le litre, le prix d'hier signifiait une marge de 10 cents pour les détaillants, ce qui est plus élevé que la moyenne de 7,2 cents observée depuis un an et qui considérée comme une marge normale.

Selon le CAA-Québec, le prix à la pompe devrait plutôt être de 137,6$ le litre à Montréal