La géologue Mona Baker promène son compteur Geiger dans le camp Matoush, à 275 kilomètres au nord de Chibougamau. À travers la carothèque en plein air, où sont entreposés pas moins de 230 kilomètres de carottes de roche, elle approche d'une table où des spécimens sont gardés à part. Le compteur affiche une mesure normale de 70 et atteint 200, puis soudainement 25 000 et 30 000 quand la géologue colle l'appareil sur les roches. Le compteur émet une série de sons stridents. La carotte est riche en uranium et le rayonnement est fort.

Le projet Matoush, développé par la société Ressources Strateco, est le projet uranifère le plus avancé au Québec. À 800 mètres d'altitude, sur un plateau au début des monts Otish, il pourrait profiter du prolongement de la route 167, qui passera tout près. Actuellement, seule une vieille route d'hiver connecte le site avec le reste du réseau routier. Le reste du transport se fait par avion, via la piste construite par la société.

Une trentaine de personnes, dont une douzaine de Cris, s'affairent sur le camp perdu dans un royaume de lacs et d'épinettes noires. D'immenses tentes blanches servent d'entrepôt de matériel ou de garage pour les foreuses. Une vingtaine de citernes de 50 000 litres chacune contiennent tout le carburant nécessaire pour un an, qui arrive par camion pendant l'hiver.

La prochaine étape du projet est de creuser une rampe d'exploration souterraine pour poursuivre l'exploration sous terre et mieux délimiter le gisement. La minière attend toutefois l'approbation des autorités fédérales et provinciales, et elle doit composer avec l'opposition du conseil cri de Mistissini.

Prenons le temps, dit Mistissini

Au cours des consultations publiques sur la construction de la rampe, en novembre dernier, le conseil de Mistissini avait pris position contre le projet. La position n'a pas changé, affirme le chef Richard Shecapio.

«La communauté a parlé contre le projet, résume le chef. Nous sommes ouverts à davantage de consultation, mais le type de minéral pose problème. On a demandé des informations supplémentaires à Strateco concernant l'impact sur les eaux souterraines.»

«Nos inquiétudes n'ont pas été apaisées par la société, précise le chef Shecapio. Ce n'est pas le temps de pousser à tout prix pour les licences. Il faut prendre le temps.»

Les forages continuent

En attendant les décisions sur les permis, Strateco affirme poursuivre les discussions avec la communauté de Mistissini. Et elle continue de forer.

Elle tente de trouver une zone reliant les deux lentilles uranifères du gisement. Il faut marcher à travers le bois, où poussent quelques bleuets, pour atteindre une foreuse en action au milieu d'un terrain boueux. Les trois foreurs sont au travail, chacun avec son dosimètre personnel pour mesurer les rayonnements absorbés.

Le foreur-chef a les mains sur les manettes et surveille la puissante machine qui tourne et enfonce le sous-sol, 500 mètres plus bas. Chaque jour, ils peuvent ainsi tirer entre 75 et 80 mètres de carottes du sol.

Les teneurs en uranium sont faibles, mais Strateco est convaincue que le gisement est exploitable, ce qu'elle veut confirmer en explorant sous terre - la mise en production n'est pas espérée avant la fin 2014. D'autres sociétés sont aussi intéressées par le potentiel de la région. Le géant Cameco, premier producteur mondial d'uranium, a bâti un camp sur sa propriété juste au sud de celle de Strateco.

La crainte de l'uranium

L'uranium n'est pas un minéral comme les autres et suscite la crainte.

Devant les carottes qui affolent le compteur Geiger, la géologue Mona Baker assure toutefois qu'il n'y a pas de danger. On prend la roche dans ses mains. Il faudrait la garder dans ses poches sur une longue période pour que ce soit dangereux.

Reste qu'il faut prendre toutes les précautions nécessaires sur le site. Chaque contact avec le minerai est régi par une procédure stricte. On touche la roche avec des gants pour éviter que des poussières soient ingérées ou se logent dans l'oeil. Le plus possible, les carottes minéralisées sont laissées à l'extérieur pour profiter de la ventilation naturelle.

Les carottes sont envoyées pour analyse à Saskatoon, centre d'expertise en uranium. Elles repartent par avion, qui en été est le seul moyen de transport entre le camp et le monde.

Dans l'appareil qui nous cueille pour retourner vers Chibougamau, on échange nos places avec les bananes et les tomates. L'épicerie arrive.