Le gouvernement Harper fait carrément la «sourde oreille» à la «vive opposition» du Québec au projet hydroélectrique du Bas-Churchill. C'est ce que conclut le gouvernement Charest après l'annonce par le fédéral, vendredi, d'une garantie de prêt pour ce projet conjoint de Terre-Neuve et de la Nouvelle-Écosse. L'opposition officielle péquiste évoque quant à elle rien de moins que la réédition de la «nuit des longs couteaux».

En entrevue téléphonique vendredi matin, le ministre des Affaires intergouvernementales canadiennes, Pierre Moreau, a rappelé que plusieurs provinces, outre le Québec, s'objectent, dont l'Ontario et le Manitoba, sans évoquer clairement la possibilité d'un front uni de provinces opposées, même si tous les recours sont envisagés.

«Le Québec n'est pas isolé dans sa réaction», a-t-il dit, sans répondre à la question concernant d'éventuelles discussions entre les gouvernements réfractaires.

La garantie de prêt n'a pas encore été chiffrée, mais M. Moreau la juge «tout à fait inacceptable.

«Nous sommes hautement préoccupés par cette attitude du gouvernement fédéral, a-t-il affirmé. (...) Il essaie de la faire passer sous le couvert d'une annonce environnementale, mais c'est le financement d'un barrage, alors que le Québec a toujours payé ses barrages à même ses deniers.»

Selon lui, il s'agit de «concurrence déloyale» à Hydro-Québec sur les marchés d'exportation, puisque l'électricité terre-neuvienne se trouvera donc à être subventionnée. En effet, le projet du Bas-Churchill prévoit une production excédentaire de deux térawattheures destinée à la vente sur d'autres marchés, alors que la société d'État québécoise exporte déjà 15 térawattheures.

Et par ailleurs, les Québécois seront doublement désavantagés, à ses yeux, car leurs impôts versés au fédéral serviront à subventionner l'électricité vendue à Terre-Neuve et en Nouvelle-Écosse.

Pour illustrer l'ampleur du précédent, M. Moreau a repris les données terre-neuviennes, qui évaluent que la garantie de prêt permettra d'économiser 120 millions $ en coût d'emprunt.

«Si le Québec et toutes les provinces recevaient une aide fédérale semblable pour l'ensemble de leurs projets, ce serait énorme. (...) Les tarifs subventionnés c'est une première, et sur le marché domestique, et sur le marché international.»

L'opposition péquiste, qui a toujours accusé les libéraux de mollesse dans ce dossier, évoque carrément une deuxième «nuit des longs couteaux», mais «en plein jour».

Dans une entrevue, le porte-parole péquiste en matière d'énergie, Sylvain Gaudreault, a ainsi fait référence à cet épisode de l'histoire canadienne au cours duquel le Québec s'est retrouvé isolé dans son opposition au rapatriement de la Constitution en 1981.

«(Le gouvernement Harper) se fout de nous, le Québec est complètement ignoré», a déploré M. Gaudreault. Et selon lui, c'est la faute du gouvernement Charest, qui a «laissé aller son rapport de forces», notamment en acceptant le nouveau cadre canadien en matière d'énergie.

Il suggère au gouvernement du Québec de s'adresser à la Cour suprême puisque l'intervention fédérale ne respecterait pas le partage des pouvoirs prévu par la Constitution.

M. Moreau n'a pas voulu s'engager dans cette voie, mais n'écarte aucun recours. Il attend les conclusions des analystes fédéraux qui chiffreront en octobre la valeur de la garantie de prêt à accorder.

Le gouvernement Harper s'était déjà engagé à financer le projet du Bas-Churchill, même que le Parti conservateur en avait fait une promesse pendant la dernière campagne électorale.

Mais vendredi matin, le fédéral a précisément fait un pas de plus. Il a signé une entente de principe pour fournir la garantie de prêt pour les projets hydroélectriques de 6,2 milliards $ du cours inférieur du fleuve Churchill au Labrador.

Le ministre fédéral des Ressources naturelles, Joe Oliver, et son collègue des Affaires intergouvernementales, Peter Penashue, étaient à Saint-Jean pour signer ce protocole avec les gouvernements de Terre-Neuve-et-Labrador et la Nouvelle-Écosse.

M. Oliver a souligné que ces projets généreront des emplois et stimuleront l'économie, tout en réduisant les émissions de gaz à effet de serre.

Ces projets comprennent une centrale hydroélectrique à Muskrat Falls et trois lignes de transport d'électricité. Des liens sous-marins seraient construits entre le Labrador, Terre-Neuve et la Nouvelle-Écosse, dans le but d'acheminer de l'énergie à compter de 2017-2018.

Le gouvernement fédéral a fait valoir que ces projets contribueront à réduire les émissions de dioxyde de carbone d'une quantité qui pourrait atteindre 4,5 mégatonnes, et à produire des retombées économiques pouvant totaliser jusqu'à 3,5 milliards $.

Peter MacKay, ministre de la Défense nationale et ministre responsable de la région de la Nouvelle-Écosse, a soutenu que ces projets montraient bien l'importance accordée par le gouvernement à la création d'emplois spécialisés, à la production d'énergie propre et aux mesures qui assureront la prospérité à long terme du Canada.

Les gouvernements fédéral et provinciaux doivent régler les termes de l'accord avant le 30 novembre.

L'opposition officielle néo-démocrate a pour sa part cautionné le coup de main d'Ottawa. Toutefois, sensible aux récriminations du Québec qui lui fournit plus de la moitié de ses représentants à son caucus, le NDP déplore une certaine forme d'iniquité, puisque seule la région de l'Atlantique profite de la mesure.

«Nous saluons l'investissement du Bas-Churchill, mais nous aurions aimé que d'autres provinces puissent aussi bénéficier de ce genre d'investissement», a déclaré le député de Brossard-La Praire, Hoang Mai, au comité des Finances, à Ottawa, vendredi matin.

Dans un communiqué, le Bloc québécois a aussi fait valoir que le gouvernement Harper est inéquitable envers le Québec.

Une porte-parole du bureau du ministre fédéral Christian Paradis a pour sa part laissé entendre que le Québec est tout aussi admissible à une aide financière dans ce domaine, puisque l'équité est un des principes du programme fédéral d'infrastructures en matière d'énergie.