Les dirigeants de Carmen International, que le fisc soupçonne de fraude massive dans le domaine de l'or, affirment que les procédures de Revenu Québec sont illégales. Ils demandent donc au tribunal de lever les saisies de leurs voitures, maisons et comptes de banque effectuées par le fisc.

La requête de Carmen International a été déposée en Cour supérieure, le 23 juin. Il s'agit de la première réaction publique de l'organisation aux perquisitions de Revenu Québec, survenues le 7 juin.

Revenu Québec, rappelons-le, allègue que deux réseaux de vente d'or recyclé ont créé une activité économique artificielle de 1,8 milliard de dollars depuis quatre ans dans le but d'empocher frauduleusement des crédits de TVQ et de TPS estimés à 250 millions.

Le premier réseau serait dirigé par Métaux Kitco et le second, par Carmen International. Cette dernière aurait obtenu indûment 33,2 millions de dollars de crédits de TVQ et de TPS entre 2006 et 2010, selon Revenu Québec. Les deux gouvernements réclament 55 millions à Carmen en incluant les intérêts et les pénalités.

Pour frauder le gouvernement, le réseau jouerait sur la différence entre le fait que les bijoux en or sont des produits taxés, et l'or pur, détaxé. Plusieurs entreprises fabriqueraient de fausses factures pour le réseau.

Revenu Québec a fait saisir tous les éléments d'actif de Carmen et ceux de ses dirigeants Joseph Chesir, Steven Chesir et Joseph Friedman. Plus précisément, des hypothèques légales ont été enregistrées sur leurs voitures et leurs maisons et des saisies ont été effectuées sur leurs comptes de banque, leurs fiducies et leurs entreprises.

Dans sa requête, Carmen demande au tribunal de faire annuler ces 24 saisies, estimant illégales les procédures du fisc. Selon Carmen, les allégations du fisc sont fausses et insuffisantes pour justifier de telles saisies. Les procédures violent les droits et libertés de l'entreprise, selon la requête, qui estime que le fisc juge l'entreprise coupable avant qu'elle n'ait pu présenter une défense adéquate.

Carmen affirme avoir collaboré étroitement avec Revenu Québec dans ses démarches relatives à cette affaire, lui donnant notamment accès à tous ses documents comptables. Jamais l'agence n'a-t-elle dit à l'entreprise qu'elle la soupçonnait d'être l'un des acteurs de la fraude avant les perquisitions, est-il écrit dans la requête.

Rencontre avec l'ex-ministre Bergman

En 2006, Revenu Québec avait effectué une première série de vérifications concernant les montants de TPS et de TVQ acquittés par l'entreprise. Carmen s'était même vu rembourser des sommes alors retenues par le fisc, indique la requête, rédigée par un avocat de la firme Sweibel Novek.

À l'époque, les dirigeants et avocats de l'entreprise avaient organisé une rencontre avec l'ex-ministre du Revenu, Lawrence Bergman, pour lui faire part des problèmes subis par l'entreprise à la suite des démarches de son organisme. La deuxième vérification du fisc a débuté en mars 2010 et s'est conclue par les perquisitions du 7 juin dernier.

Selon les documents du fisc déposés en Cour, l'enquête a pris un tournant en décembre dernier lorsque des participants au stratagème ont accepté de témoigner, moyennant une forme de clémence du fisc. Leur identité est soigneusement protégée, car ces sources craignent des «représailles physiques» ou des menaces à leur famille.

Selon Revenu Québec, une centaine de PME ont été recrutées par le réseau. On leur a demandé de fabriquer des bijoux en or avec des défauts. Ces bijoux ont été vendus à Carmen ou à Kitco pour être refondus et réintroduits dans le système.

«Aucun produit fini ne se retrouve sur le marché pour être vendu au détail. Ce cycle de production est comme une boucle dans laquelle des quantités considérables d'or circulent continuellement sans jamais atteindre le consommateur», explique l'un des documents de Revenu Québec.

Cette boucle permet de collecter indûment des crédits de taxes, selon le fisc. «Je coulais de l'or et l'apportais chez Kitco et je revenais avec l'or de Kitco et je recommençais», a dit un dénonciateur à Revenu Québec.

Le réseau a besoin d'un groupe d'entreprises pour fabriquer de fausses factures, selon Revenu Québec. «Je ne faisais que des factures, je n'ai jamais rien vendu», ont dit d'autres dénonciateurs à Revenu Québec, payés en argent comptant pour leur travail.

L'autre entreprise ciblée par le fisc, Métaux Kitco, s'est mise sous la protection de la Loi sur la faillite, après les perquisitions. L'entreprise est gérée par le séquestre RSM Richter. Revenu Québec affirme qu'elle a empoché indûment 222 millions de dollars de TPS et de TVQ en quatre ans, somme que les gouvernements lui réclament.