Pour les Québécois dont le métier est de financer les entreprises innovantes de la province, le cas d'Enerkem représente à la fois une victoire... et un modèle à reproduire.

En effet, ce n'est pas tous les jours qu'on voit de grands fonds américains miser des dizaines de millions de dollars sur une entreprise de chez nous. Or, l'événement est loin d'être le fruit du hasard. Rho Ventures, un prestigieux fonds de capital-risque américain qui a réalisé le plus gros investissement en sol canadien de son histoire avec Enerkem, s'est longtemps fait courtiser avant d'investir au Québec.

L'affaire remonte à 2004, lorsque la Caisse de dépôt et placements du Québec et le Fonds de solidarité FTQ ont décidé d'investir conjointement 100 millions dans Rho Fund Investors, un bras de la firme Rho.

«À l'époque où j'étais au Fonds de solidarité, on avait deux stratégies: créer des fonds locaux et investir dans des fonds étrangers de première qualité pour tisser des liens et aider nos entreprises d'ici», raconte Jacques Bernier, ancien VP du Fonds de solidarité FTQ aujourd'hui à la tête de Teralys Capital, plus gros réservoir de capital-risque au pays.

Joshua Ruch, cofondateur et associé principal de Rho, se souvient très bien de l'époque où la Caisse et le Fonds de solidarité ont investi chez lui.

«Les gens représentant ces institutions nous ont encouragés à regarder les entreprises en démarrage de Montréal et du Québec, a-t-il raconté à La Presse Affaires. Alors, on a regardé. Et ce qu'on a vu, c'est un environnement très intéressant, plus vibrant qu'on le pensait et qui représentait un potentiel sous-exploité par les fonds américains.»

«Si vous allez à Boston, par exemple, c'est extrêmement compétitif, illustre M. Ruch. Il y a des gens de partout. À Montréal, il y avait évidemment les investisseurs québécois, mais il n'y en avait pas beaucoup d'autres. Alors pour nous, c'était intéressant.»

L'affaire amènera Rho à créer de toutes pièces une nouvelle unité d'affaires, Rho Canada, établie à Montréal. Sa mission: investir dans des entreprises québécoises et canadiennes.

»Cas unique»

Pour toutes sortes de raisons, ce n'est pas la branche canadienne de Rho, mais bien son unité new-yorkaise qui finira par investir dans Enerkem. Mais peu importe: Joshua Ruch confirme que sans l'approche initiale des Jacques Bernier et autres Québécois, il n'aurait probablement pas regardé les occasions d'investissements québécoises.

«Il est intéressant de penser qu'il s'est investi plus de 100 millions de capital non canadien dans Enerkem, une compagnie qui n'a pas encore de revenus, commente à ce sujet M. Ruch. Pour une entreprise à un stade aussi précoce de développement, c'est peut-être un cas unique au Québec, peut-être même au Canada», souligne-t-il.

Pour Vincent Chornet, président d'Enerkem, l'apport de fonds comme ceux de Rho Ventures dépasse cependant celui des simples dollars. Il faut savoir que depuis 2006, Joshua Ruch lui-même siège au conseil d'administration d'Enerkem.

«Sur le plan du support stratégique, avoir un gars comme ça dans notre CA, c'est une autre game, dit M. Chornet. Il faut comprendre que ces gens-là sont actifs depuis les années 80. La recette pour bâtir des entreprises technologiques, ils la connaissent.»

Outre l'expertise stratégique, Rho fait aussi bénéficier Enerkem du vaste réseau de contacts de son équipe. Des atouts, croit M. Chornet, qu'il aurait été difficile de trouver au Québec.

En fait, sans l'apport du capital américain, Enerkem n'aurait probablement pas pu se développer, juge Jacques Bernier, de Teralys. C'est que contrairement aux boîtes web, par exemple, qui n'ont besoin que d'une poignée de programmeurs et d'ordinateurs portables pour refaire le monde, l'entreprise avait besoin de sommes substantielles pour bâtir une usine capable de démontrer le potentiel de sa technologie.

«Investir dans des fonds étrangers pour aider nos entreprises au Québec: c'est ça, la stratégie, dit Jacques Bernier. Et Enerkem, c'est la preuve que ça marche.»