L'avance du Québec dans les nouveaux matériaux de stockage d'énergie qui a donné naissance à Phostech Lithium, de Saint-Bruno, risque de ne pas durer longtemps, avec la décision d'Hydro-Québec de recruter d'autres licenciés en Asie.

Le principal producteur industriel de phosphate de fer lithié, qui sert à la fabrication des batteries de voitures électriques, aura donc de la concurrence. Ce qui bouleverse profondément celui qui a contribué à la création de l'entreprise, Michel Gauthier.

«Les dirigeants d'Hydro-Québec préfèrent brader une propriété intellectuelle fruit de 30 ans d'efforts et d'investissements collectifs», se désole le chimiste, qui a fait carrière à l'Institut de recherche d'Hydro-Québec avant de participer à la fondation de Phostech en 2001.

Spécialiste des matériaux de stockage d'énergie, Michel Gauthier a contribué à la création d'Avestor, fabricant de batteries de Boucherville qu'Hydro a fini par laisser tomber. Rachetée par le Groupe Bolloré, cette entreprise rebaptisée Bathium a maintenant le vent dans les voiles et vient d'annoncer un investissement de plus d'une centaine de millions de dollars pour augmenter sa production annuelle de batteries.

Phostech Lithium, deuxième entreprise qu'il a contribué à créer, risque elle aussi d'être victime du désintérêt d'Hydro, craint le chercheur.

«Ça fait depuis 2008 qu'Hydro-Québec cherche à rompre l'exclusivité des droits de Phostech Lithium pour pouvoir retirer immédiatement des revenus de licence de futurs licenciés asiatiques», a-t-il déploré lors d'un entretien avec La Presse Affaires.

Tout indique que des ententes sont sur le point d'être conclues avec au moins trois autres entreprises intéressées à produire du phosphate de fer lithié, au Japon et à Taiwan, et que ces futurs licenciés n'auront pas l'obligation de s'installer au Québec.

Hydro-Québec détient les brevets de fabrication du phosphate de fer lithié, conjointement avec l'Université de Montréal, l'Université du Texas et le Centre national de recherche scientifique de France.

Le marché du phosphate de fer lithié est sur le point d'exploser, avec la commercialisation prochaine de plusieurs modèles de voitures électriques.

C'est la raison pour laquelle la société mère de Phostech Lithium, Süd-Chemie, qui a une usine à Saint-Bruno, construit une deuxième usine à Candiac, qui produira annuellement 2400 tonnes de cette poudre dont le prix sur le marché est autour de 40$ le kilo.

«La meilleure chose à faire»

Hydro-Québec n'a pas voulu expliquer elle-même les motifs de la décision de retirer l'exclusivité du produit à l'entreprise établie au Québec. Elle laisse plutôt la parole à Phostech Lithium, qui est d'accord avec la venue d'autres joueurs dans le marché.

C'est la meilleure chose à faire, selon le porte-parole de Phostech, Christian Knobloch.

«On veut servir l'industrie de l'automobile et il est illusoire de croire que les fabricants adopteront une technologie s'il n'y a qu'un seul fournisseur, explique-t-il. «Est-ce que la Chine va baser toute une industrie sur une poudre fabriquée uniquement au Québec?»

Selon lui, il n'est pas du tout certain que la technologie utilisant du phosphate de fer lithié s'imposera dans l'industrie de l'automobile. «Nous, on y croit à 100%, mais on ne peut pas être le seul joueur. C'est dans l'intérêt de Phostech Lithium que d'autres joueurs entrent dans le marché», ajoute Christian Nobloch.

Les deux usines québécoises à Saint-Bruno et à Candiac n'en souffriront pas, affirme-t-il, même si les coûts de production risquent d'être plus bas en Chine et ailleurs en Asie.

L'usine de Candiac, qui commencera la production à la fin de l'année, sera automatisée à 90%, fait-il valoir. Les autres coûts de production sont la matière première, le lithium, dont le prix est le même partout, et l'énergie, qui ne coûte pas cher au Québec.

Michel Gauthier, qui rêvait de voir plusieurs usines construites au Québec pour desservir la demande mondiale, a vainement tenté de convaincre Hydro-Québec du potentiel de cette industrie pour le Québec. L'arrivée de nouveaux joueurs dans le marché signifie des revenus supplémentaires pour Phostech, comme pour Hydro-Québec. Des revenus à court terme, contre ce qui aurait été des gros gains à long terme, déplore-t-il.

«Une grave erreur»

La ministre responsable d'Hydro-Québec, Nathalie Normandeau, ne s'est pas opposée à la décision, malgré les plaidoiries faites par le député péquiste François Rebello, qui représente la circonscription où est située l'usine de Candiac.

«C'est une grave erreur, a dit hier le député. Le contrôle de la propriété intellectuelle, c'est une carte majeure pour faire progresser l'industrie de la voiture électrique».

Il ne faut pas vendre cette carte, selon lui, ou si on la vend, on doit mettre comme condition d'investir au Québec, comme on l'a fait avec Süd Chemie, entreprise allemande qui vient d'être acquise par des intérêts suisses.