Comme bien d'autres villages du Québec, la vie collective de Saint-Camille se concentre à l'intersection des deux routes qui traversent la communauté de 500 habitants. L'église, l'hôtel de ville, l'école, la petite salle de spectacle. Et la salle communautaire, où s'est massé en ce mercredi soir neigeux le quart de la population du village, situé à 25 kilomètres au nord-est de Sherbrooke.

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La salle est bondée, des gens doivent rester debout dans le vestiaire à l'arrière. Officiellement, ils sont venus pour s'informer sur une société minière qui cherche de l'or chez eux. En fait, ils sont là pour organiser la résistance, même si aucun forage n'a encore été effectué.

Déjà, le projet est vu comme une menace. C'est que Saint-Camille n'est pas un village comme les autres. Depuis 20 ans, grâce à un modèle de développement axé sur la qualité de vie, la communauté a réussi à contrer la décroissance qui affecte plusieurs municipalités rurales de la province.

Une mine? Non merci. En décembre, le passage d'un hélicoptère recueillant des données géophysiques a provoqué la création d'un comité citoyen et la mobilisation des villageois. Des Camillois ont envoyé une lettre à la société junior Bowmore Exploration pour lui interdire l'accès à leurs terrains pour l'exploration. «C'est un moratoire sur notre propre terrain», explique le porte-parole du comité Mine de rien, Joël Nadeau.

M. Nadeau, 30 ans, concepteur de site web, premier bébé en route, vient d'emménager à Saint-Camille. «Je suis venu m'installer ici à cause du dynamisme et des projets du village. S'il y avait eu une mine, pas sûr que je serais venu.»



Un modèle gagnant

Le succès du modèle de développement de Saint-Camille fait la fierté du village. En 2006, le très crédible Monde diplomatique y a consacré un article significatif. Mercredi après-midi, des gens de Bécancour visitaient le village pour y trouver une inspiration. «Il y a souvent de la visite comme ça», nous dit un Camillois travaillant au P'tit bonheur.

Le P'tit bonheur, à la fois lieu d'exposition, salle de spectacle et café, est en quelque sorte un lieu symbolique du modèle de développement, au coeur du village. Quand le magasin général s'est mis à vivoter, des investisseurs locaux rassemblés dans le Groupe du coin ont racheté l'endroit, le temps qu'un organisme à but non lucratif puisse en faire ce qu'il est devenu aujourd'hui. C'est dans ce lieu que viendront chanter sous peu les Jorane, Bernard Adamus et Luc De Larochellière.

Jacques Proulx, ancien président de l'Union des producteurs agricoles et de Solidarité rurale, fait partie du Groupe du coin (qui n'encaisse aucun profit) avec une poignée d'autres Camillois. Originaire du village, l'homme de 71 ans a été un témoin privilégié de la décroissance de la population du village.

«Le signal d'alarme, c'est quand il a fallu sauver l'école», relate-t-il. Depuis, la communauté a sauvé le bureau de poste, a ouvert le P'tit bonheur, une résidence pour personnes âgées, une coopérative de produits agricoles locaux. Il est aujourd'hui question de transformer l'église en centre multifonctionnel, tout en y conservant un lieu de culte. Des projets résidentiels, au village ou dans les rangs, ont réussi à attirer des jeunes familles. Saint-Camille a fondé son développement sur la qualité de vie, l'initiative citoyenne et l'engagement communautaire. «Le quart de la population est bénévole», note le maire Benoit Bourassa.

Le modèle fonctionne. Passé de 1000 à 435 habitants au cours du siècle dernier, Saint-Camille a refranchi le seuil des 500 habitants.

Nul besoin d'une mine

Sur sa terre de 100 acres, un peu en retrait du village, l'ancien maire Claude Larose se construit une nouvelle maison. En 2008, des géologues l'ont approché pour lui demander l'autorisation de prendre des échantillons de roche sur sa propriété. Il a accepté.

Mais il a changé d'attitude depuis. Il fait partie des quelque 40 citoyens qui ont envoyé à Bowmore Exploration une lettre interdisant l'accès à son terrain. Pour lui, l'industrie minière est totalement incompatible avec les orientations de Saint-Camille. «La vision qu'on a est valable parce que des gens viennent effectivement s'installer ici, dit-il à La Presse Affaires au milieu de la salle à manger toujours en chantier. Et là, une entreprise va arriver et bullshiter tout ça?»

L'industrie met de l'avant la création d'emploi. Mais Saint-Camille n'a pas adopté ce credo. Le village préfère d'abord attirer des gens qui s'enracineront et qui créeront éventuellement des emplois durables, explique le maire Bourassa.

Les emplois à la mine, c'est du court terme, estiment plusieurs Camillois. Ils ne croient pas à une économie mono-industrielle. Asbestos, à une vingtaine de kilomètres de là, leur sert d'exemple à ne pas suivre. «Il n'y a pas de pérennité autour de cette industrie», croit Jacques Proulx.

Quoique préliminaires, les informations géologiques recueillies à Saint-Camille pointent vers une mine à ciel ouvert, comme celle que développe Osisko à Malartic, en Abitibi. Mais contrairement à Malartic, «on n'attend pas une bouée de sauvetage pour se développer», dit Claude Larose.

La défense s'organise

En vertu des articles 65 et 235 de la Loi sur les mines, la société Bowmore doit obtenir l'autorisation de tout propriétaire de terrain avant de faire de l'exploration minière. Lundi, le conseil municipal de Saint-Camille avait déjà interdit à toute compagnie minière ou gazière l'accès aux terrains municipaux. Même si la loi ne lui permet pas de le faire, elle a aussi interdit l'exploration à l'intérieur du périmètre urbain.

Pendant l'assemblée citoyenne, tous ceux qui se sont exprimés ont manifesté leur inquiétude et leur opposition. S'il y avait des gens plus favorables, ils sont restés silencieux. L'assemblée d'information s'est transformée en charge à fond de train contre l'industrie minière.

Le comité Mine de rien a demandé aux citoyens de refuser l'accès à leurs terres. «C'est le seul droit qu'on a», a souligné le maire Benoit Bourassa. Théoriquement, la société pourrait demander au gouvernement d'utiliser une procédure d'expropriation, ce qu'elle n'envisage pas.

Saint-Camille lance aussi un appel à toutes les autres communautés du Québec concernées par l'exploration gazière et minière afin qu'ils la suivent dans le mouvement. Cela permettra à leur avis de montrer au gouvernement qu'il est temps d'accorder aux municipalités un contrôle sur le genre de développement qu'elles souhaitent.

Le ministre responsable des Mines, Serge Simard, a réagi à l'action de Saint-Camille hier. «Que les gens disent ouvertement qu'ils ne veulent pas de prospection sur leur terrain, c'est absolument correct et c'est comme ça qu'il faut que ça se fasse, a-t-il affirmé à La Presse Affaires. Ça prend obligatoirement la permission du propriétaire pour avoir accès à son terrain.» Le ministre ajoute que la réforme de la Loi sur les mines donnera davantage de pouvoir aux muncipalités et viendra encadrer l'acceptabilité sociale et les relations entre entreprises et municipalités.

Photo Robert Skinner, La Presse

Le maire Benoit Bourassa, qui s'adressait aux citoyens mercredi soir, dit que Saint-Camille préfère d'abord attirer des gens qui s'enracineront et qui créeront éventuellement des emplois durables.