Hydro-Québec s'élève vigoureusement contre «l'idée qui s'est installée» selon laquelle elle met des bâtons dans les roues de Terre-Neuve pour l'empêcher de développer son projet hydroélectrique du Bas-Churchill.

«Hydro-Québec ne souhaite pas bloquer ce projet-là», a affirmé hier le président-directeur général de la société d'État, Thierry Vandal, au cours d'une entrevue à La Presse.

Hydro et le gouvernement du Québec se sont opposés à ce qu'Ottawa accorde l'aide financière de 375 millions de dollars demandée par Terre-Neuve pour lui permettre d'acheminer l'électricité du Bas-Churchill vers le nord-est des États-Unis par un lien sous-marin.

«On verrait mal qu'une agence fédérale améliore la compétitivité d'un projet avec lequel nous allons être en concurrence aux États-Unis», a justifié M. Vandal.

Le gouvernement de Terre-Neuve s'est tourné vers le fédéral après que sa demande pour faire transiter son énergie par le réseau québécois eut été rejetée par Hydro-Québec, faute de capacité disponible.

Terre-Neuve a contesté ce refus devant la Régie de l'énergie, sans succès, et a ensuite demandé une révision de la décision de la Régie qui donne raison à Hydro-Québec. Cette requête en révision doit être entendue le 1er novembre.

Selon Thierry Vandal, la Régie a fait la preuve que le réseau de transport d'Hydro-Québec est ouvert à tous, sur la base du premier arrivé, premier servi, tel que l'exige la réglementation.

La demande de réservation de Terre-Neuve est arrivée avant celle d'Hydro-Québec Production, a-t-il reconnu, mais elle a été refusée, entre autres parce que Terre-Neuve n'a pas pu préciser où elle voulait vendre son électricité.

Maintenant que toute la capacité du réseau est utilisée ou réservée, Terre-Neuve pourrait toujours demander à Hydro de construire sur son territoire la nouvelle ligne et les interconnexions dont elle aura besoin. «C'est très faisable», assure Thierry Vandal, qui précise que cette solution coûterait 3,5 milliards à Terre-Neuve.

C'est non négociable, selon Hydro, puisque ça correspond au coût réel pour acheminer les 3000 mégawatts du Bas-Churchill vers la frontière américaine. «Ça va nous coûter 1,5 à 2 milliards pour acheminer les 1500 mégawatts de la Romaine», illustre M. Vandal.

Un excellent projet

Si Terre-Neuve se retrouve dans cette situation, c'est parce que son gouvernement a choisi de développer seul le Bas-Churchill, a rappelé le grand patron d'Hydro.

En 2002, Hydro-Québec s'était alliée à SNC-Lavalin et Ontario Power Generation pour faire une proposition au gouvernement de Terre-Neuve, qui l'a ignorée.

Hydro-Québec a donc décidé de développer ses propres projets, notamment Eastmain 1A-Sarcelle-Rupert et la Romaine, et n'est plus intéressée par l'énergie du Bas-Churchill,

«Nous ne sommes plus acheteurs», a affirmé M. Vandal. L'électricité du Bas-Churchill a un prix de revient plus bas que celui des projets d'Hydro, reconnaît-il. Mais, selon lui, il est plus avantageux à long terme de développer ses propres installations que de signer des contrats d'achat avec d'autres pour 25 ans.

Cela dit, le Bas-Churchill reste un excellent projet, estime Thierry Vandal. «Si c'était à nous, on l'aurait réalisé depuis longtemps», a-t-il ajouté.

Le projet du Bas-Churchill prévoit la construction de trois barrages et de deux centrales hydroélectriques sur les rivières Gull Island et Muskrat, au Labrador, pour un investissement total de 6 milliards.

Comme Hydro-Québec, Terre-Neuve voudrait profiter du riche marché de la Nouvelle-Angleterre, où les prix de l'électricité sont généralement plus élevés qu'ailleurs aux États-Unis.

Ce marché est moins rentable qu'il l'a déjà été, en raison de la nouvelle abondance de gaz de schiste qui contribue à maintenir le prix de l'électricité bas. C'est vrai, dit Thierry Vandal, mais Hydro n'entend pas ralentir pour autant le rythme de son expansion.

«Les prix vont augmenter avec le temps et on ne se trompe jamais à développer de l'énergie renouvelable», assure-t-il.