Il a fallu 35 ans avant qu'une deuxième mine, celle de Consolidated Thompson, n'entre en opération près de Fermont. À la mine comme à la ville, la vigueur du marché du fer se ressent. Visite des lieux, points de départ de la route du fer.

Dans le puits de la mine du lac Bloom, si jeune qu'il ne forme pas encore une fosse, une immense pelle mécanique de 14 millions de dollars et de 9 mètres de haut mange le sol tantôt brunâtre, tantôt grisâtre. Marc Drolet, un ancien employé de la mine Troilus, près de Chibougamau, commande le mastodonte avec la même aisance que s'il s'agissait d'un véhicule de promenade. En quelques minutes, il charge un camion de 240 tonnes, et un autre arrive.

Au début de l'année, Consolidated Thompson (CLM) a mis en opération au lac Bloom, à quelques pas de Fermont, une première mine de fer en 35 ans au Québec. La société montréalaise n'a pas tardé à annoncer qu'elle doublerait rapidement sa production annuelle, la faisant passer à 16 millions de tonnes par année. Signe d'un remarquable boom dans l'industrie du fer, stimulée par les besoins d'acier des marchés émergents.

D'ici cinq ou six ans, avec les autres propriétés qu'elle veut développer, CLM pourrait produire quelque 30 millions de tonnes par année. «On ne voit pas pourquoi CLM ne deviendrait pas le plus grand producteur de fer en Amérique du Nord», affirme le président et chef de la direction, Richard Quesnel.

Les autres producteurs de la région ne sont pas en reste. ArcelorMittal, dont la mine de Mont-Wright a été à l'origine de la fondation de Fermont, prépare une augmentation de la production. De l'autre côté de la frontière, à Labrador City, la compagnie minière IOC a relancé le plan d'expansion qu'elle avait dû suspendre pendant la crise. Tandis que Mines Wabush, qui fonctionnait au ralenti pendant la récession, compte atteindre de nouveau sa capacité de production maximale autour de 2012-2013.

La petite séduction

Au coeur du mur-écran de Fermont, ce long immeuble de 1,3 kilomètre qui protège la communauté des vents du nord, c'est la ruée au magasin Distribution J.R.V. Les nouveaux employés de la minière Consolidated Thompson font la file dans cette petite boutique où ils peuvent se procurer leurs vêtements de travail. Les deux employées sont débordées. «Notre chiffre d'affaires a beaucoup augmenté avec l'arrivée de Consolidated Thompson», explique la gérante Jeanne Donnelly.

CLM emploie un peu plus de 200 personnes au lac Bloom, sans compter les quelque 500 contractuels que nécessite le projet d'expansion. Sur la nouvelle rue des Bâtisseurs, à Fermont, Consolidated Thompson a construit des bungalows et des maisons en rangée regroupant 150 chambres, tandis que des dizaines de roulottes accueillent les employés temporaires.

Chaque employé permanent travaille 14 jours puis repart à la maison, où qu'elle soit au Québec, pour les 14 journées suivantes. «Le meilleur horaire de ma vie», dit le superviseur de production André Bégin, un ancien de la mine Raglan qui demeure à Danville, dans les Cantons-de-l'Est.

Plusieurs Fermontois déplorent cet horaire «14/14», alors que les 1000 employés de Mont-Wright, de leur côté, demeurent en permanence à Fermont. «Les ventes augmentent un peu, mais ce n'est pas comme s'ils (les employés de CLM) demeuraient ici, dit la gérante du magasin Variétés Fermont, Jocelyne Pelletier. L'argent s'en va ailleurs.»

«Les gens ont un peu de misère avec ça, avoue la mairesse Lise Pelletier. Mais c'est à nous de continuer notre petite séduction pour que des familles s'installent ici.»

La petite ville de 2800 habitants vit de bien meilleurs moments qu'au début des années 2000. À l'époque, la compagnie Québec Cartier (aujourd'hui dans les mains d'ArcelorMittal) était en difficulté et les travaux d'infrastructure de la ville étaient en suspens.

Aujourd'hui, c'est l'effervescence, soutient la mairesse. L'arrivée de CLM et les perspectives encourageantes chez Arcelor stimulent la communauté. Le centre local de développement a investi comme jamais l'an dernier (un demi-million de dollars), signe que des projets économiques sont en marche.

La ville veut en profiter pour régler son problème de logement et bâtir de nouveaux secteurs résidentiels, y compris des logements sociaux et des appartements pour les retraités. «Dans les six ou huit prochains mois, c'est l'avenir de Fermont qui se joue», affirme Lise Pelletier.

Fermont, Chine et mont St-Hilaire

Bien entendu, le regain de Fermont est intimement lié à la vigueur du marché du fer, et donc à la vigueur du marché de l'acier. Tous les producteurs s'en rendent compte: pendant que les marchés traditionnels stagnent, les marchés émergents, particulièrement la Chine et l'Inde, ont besoin d'acier. Le sidérurgiste chinois Wisco s'est d'ailleurs engagé à acheter la moitié de la production de Consolidated Thompson, qui a construit la mine à la vitesse grand V pour profiter le plus possible du marché favorable. À environ 120 $US la tonne, le fer se vent à un prix six fois plus élevé qu'il y a 10 ans.

À la mine du lac Bloom, CLM poursuit la marche vers un rythme de production annuel de 8 millions de tonnes, la première étape avant les 16 millions de tonnes prévues au plan d'expansion. Le minerai est extrait du sol, concassé puis envoyé vers un broyeur cylindrique de 36 pieds de diamètre, actionné par deux moteurs de 7500 chevaux.

Ce procédé devrait suivre son cours pendant au moins 20 ans, et potentiellement plus de 30 ans, estime le PDG de CLM, Richard Quesnel. Pendant la durée de vie de la mine, CLM arrachera du sol et traitera un volume équivalent au mont Saint-Hilaire.

Dans l'usine toute récente où le minerai est concentré, les planchers sont croches. C'est Hubert Vallée, vice-président (opération et logistique) de CLM et principal architecte des installations, qui a insisté pour que ce soit fait ainsi. Cela permet à l'eau qui s'échappe de l'équipement de s'évacuer toute seule, ce qui facilite grandement l'entretien du bâtiment.

«Ce projet-là, je l'ai rêvé», dit Hubert Vallée.

Le concentré de fer, fruit de l'usine, est ensuite acheminé vers un silo de 24 000 tonnes, puis vers une tour de chargement où se nourrissent les deux trains de 150 wagons tout neufs de CLM. Toutes les installations de la mine sont situées au Québec, sauf cette tour de chargement et le chemin de fer de CLM, situés exclusivement au Labrador. S'il était situé dans les deux provinces, le chemin de fer aurait obtenu un statut fédéral, ce qui aurait signifié des normes différentes et des délais que ne permettaient pas l'échéancier serré de CLM.

Le tronçon ferroviaire de 31 kilomètres, construit l'hiver dernier, rejoint le chemin de fer Quebec North Shore&Labrador, qui transporte le fer de CLM jusqu'à Sept-Îles, 400 kilomètres plus au sud et 36 heures plus tard. Le fer poursuit sa longue route qui le mènera jusqu'en Chine.

Lundi

Continuez de parcourir la route du fer en lisant le reportage sur Sept-Îles et son port.

Clavardage

Venez aussi clavarder avec notre journaliste Hugo Fontaine sur l'industrie minière et l'économie de la Côte-Nord. Lundi midi sur www.lapresseaffaires.cyberpresse.ca