Deux petites semaines. C'est tout le temps que les trois entreprises qui s'intéressent au rachat de la raffinerie Shell de Montréal ont pour digérer les états financiers de l'entreprise et réunir les morceaux d'une offre d'achat de plusieurs centaines de millions de dollars.

C'est un exercice très périlleux, reconnaît Catherine Escojido, porte-parole du comité de survie de la raffinerie, mis sur pied par les 500 syndiqués de l'usine qui craignent de perdre leur emploi.

Au milieu de la semaine dernière, trois acheteurs intéressés par la raffinerie ont signé des ententes de confidentialité qui leur ont donné accès aux états financiers de la raffinerie que Shell veut abandonner. Ils ont jusqu'au mardi 1er juin pour traduire cet intérêt en offre d'achat en bonne et due forme.

Pour le moment, ces acheteurs demeurent anonymes. Il est toutefois peu probable qu'il s'agisse d'une autre grande pétrolière, selon une source proche de l'industrie. Les gros acteurs comme Chevron ou Husky Oil, dont les noms ont circulé parce qu'ils ne sont pas présents dans l'est du Canada, se seraient manifestés avant la semaine dernière, explique cette source. Shell a en effet exploré le marché pendant plusieurs mois avant d'annoncer sa décision de fermer la raffinerie, sans succès.

Ceux qui se manifestent à la dernière minute sont donc attirés par le prix très bas qui pourrait leur être consenti par Shell. Un investissement modeste peut être rentabilisé pendant au moins quelques années, même si les perspectives à long terme de l'industrie du raffinage restent incertaines.

Les fonds américains de capital d'investissement privé sont généralement à l'affût de ce genre d'occasions d'affaires. Un nom qui circule est celui de Harvest Partners, fonds new-yorkais qui se spécialise, entre autres, dans le secteur de l'énergie. Dans le cas de la raffinerie de Shell, il faudrait cependant que ces financiers s'allient à l'équipe qui gère la raffinerie, parce qu'ils n'exploitent jamais eux-mêmes les usines dans lesquelles ils investissent.

La Chine, qui a énormément d'argent américain à investir et qui s'intéresse particulièrement aux produits de base, pourrait aussi y voir une occasion d'affaires.

Un autre acquéreur possible pourrait être formé par un regroupement des distributeurs indépendants qui, ensemble, pourraient avoir les moyens d'étendre leurs activités au raffinage.

Les indépendants se sont souvent plaints au cours des dernières années de la marge de profit élevée que prélèvent les raffineurs, mais leur porte-parole, Sonia Marcotte, n'a pas entendu parler d'un projet d'acheter la raffinerie de Shell.

« C'est un très gros investissement pour des indépendants, a commenté la porte-parole de l'Association québécoise des indépendants du pétrole. S'il y a un projet, je n'en ai pas eu vent », a-t-elle dit.

Au moins un des plus gros distributeurs indépendants de produits pétroliers, Sonic, a fait savoir que le rachat de la raffinerie de Shell n'est pas dans ses projets.

Sonic, filiale de la Coopérative fédérée, est déjà actionnaire de Norcan, un terminal pétrolier qui lui permet d'approvisionner son réseau de distribution au meilleur prix, avec des produits raffinés localement ou importés.

Tout acheteur ou regroupement d'acheteurs pourrait probablement compter sur l'aide du gouvernement du Québec, ce qui peut peser dans la balance. La Société générale de financement (SGF), qui a déjà perdu beaucoup d'argent dans la pétrochimie, pourrait vouloir protéger les investissements qui lui restent dans ce secteur (Cepsa Chimie et Parachem) et qui sont menacés par la fermeture de la raffinerie de Shell.

Toute proposition d'investissement dans cette entreprise sera analysée, a fait savoir Sophie Alarie, porte-parole de la SGF.

Aucun des trois intéressés ne s'est encore désisté, mais rien n'assure qu'une offre d'achat se concrétisera. Shell, en tout cas, poursuit comme si de rien n'était les travaux préparatoires au démantèlement de sa raffinerie qui commencera le 1er juin.

Shell veut conserver uniquement un terminal de stockage à Montréal et il est prévu que son réseau de station-service soit aussi mis en vente.