Si le plan de match du gouvernement Charest se réalise, Hydro-Québec se retrouvera dans 15 ans avec des surplus gigantesques. Qui seront les acheteurs pour ces milliards de kilowattheures excédentaires? Il serait temps de les identifier, selon un spécialiste de l'énergie.

«Avant de démarrer un nouveau projet comme celui de Petit Mécatina ou de trop vanter le Plan Nord, il semble évident qu'un plan plus précis doit être présenté sur la manière vendre ces surplus d'électricité», estime Gaëtan Lafrance, professeur à l'INRS et spécialiste de l'énergie.

 

Favorable aux exportations d'électricité, Gaëtan Lafrance plaide depuis longtemps qu'Hydro-Québec doit avoir en permanence des surplus de 10%. Un tel niveau de surplus permet de faire face aux périodes de sécheresse, explique-t-il au cours d'un entretien avec La Presse Affaires. Avec des surplus de 10%, Hydro-Québec peut aussi vendre et acheter sur le marché de court terme, un marché «durable et payant parce qu'il est basé sur la gestion de nos réservoirs».

Dès 2014, soit dans quatre ans, avec le début de la mise en service du projet La Romaine, la capacité de production d'Hydro-Québec sera de 14% supérieure aux besoins du Québec. Hydro prévoit investir ensuite dans le projet Petit Mécatina, puis dans des projets encore non identifiés dans le Nord du Québec, de sorte que ses surplus continueront d'augmenter.

«Comme la demande du Québec sera saturée à long terme, les surplus pour l'horizon 2025 pourraient atteindre 44 milliards de kilowattheures, estime le professeur. C'est considérable.»

Gaëtan Lafrance craint, comme Jean-Thomas Bernard, professeur à l'Université Laval, qu'Hydro-Québec soit forcée d'exporter son énergie aux États-Unis à des prix bien inférieurs à son coût de production. Une entente de principe qui vient d'être conclue avec le Vermont prévoit qu'Hydro recevra autour de 6 ou 7 cents le kilowattheure, alors que le coût de revient de ses nouvelles centrales sont autour de 10 cents le kilowattheure.

Il comprend aussi les écologistes qui ne voient pas l'intérêt pour le Québec de sacrifier ses dernières grandes rivières sauvages si c'est pour vendre de l'électricité à perte aux Américains.

C'est ce qui est arrivé après la mise en service de la première phase de la Baie James, alors que d'énormes surplus sont apparus. Hydro-Québec a alors dû faire des ventes de feu pour écouler cette énergie, notamment en l'offrant à un prix très bas aux grandes entreprises du secteur des métaux et des pâtes et papiers.

Pour ne pas que ça se reproduise, il faut que le Québec développe de nouveaux marchés pour son électricité, estime le professeur. Il suggère d'électrifier davantage l'économie du Québec, notamment dans le secteur du transport.

En plus de diminuer les importations de pétrole et d'améliorer sa balance commerciale, le Québec a beaucoup à gagner en développant son propre marché, souligne Gaëtan Lafrance. L'électrification plus poussée l'aidera à respecter les engagements pris à Copenhague de réduire de 20% ses émissions de gaz à effet de serre, illustre-t-il.

Le Québec peut aussi augmenter sa capacité de production d'électricité en utilisant l'éolien plutôt que l'hydroélectricité, croit-il. «Cette forme d'énergie, en plus d'être compétitive, a l'avantage de mieux moduler les accroissements de production», précise-t-il.

Selon lui, on peut critiquer la stratégie du gouvernement, mais elle a le mérite de regarder vers l'avant. «Il y a aussi un coût à ne rien faire», souligne-t-il. Et l'avenir pourrait lui donner raison.

L'inconnu: le gaz naturel

Le prix du gaz naturel, qui sert à produire de l'électricité dans les marchés convoités par Hydro-Québec, reste la grande inconnue de cette équation. Si son prix devait remonter, l'électricité québécoise deviendrait plus attrayante pour les États du nord-est américain, et Hydro-Québec pourrait obtenir un meilleur prix. Sur la durée de vie d'un ouvrage comme La Romaine, il serait étonnant que le prix du gaz reste stable, croit le professeur.

«Dans le monde merveilleux du gaz naturel, le discours des promoteurs sur l'état des réserves et sur leur capacité à répondre à toutes les requêtes du marché relève toujours d'un optimiste débordant», constate l'auteur de Vivre après le pétrole: mission impossible?

L'exportation d'électricité peut être bénéfique pour le Québec, si le marché est là, croit Gaëtan Lafrance. Sinon, il faut être capable de reculer.

C'est déjà arrivé. La deuxième Baie-James de Robert Bourassa n'a jamais vu le jour, en raison de l'ampleur des investissements requis et des risques associés. Hydro-Québec a dû appliquer le frein d'urgence sur ses investissements.