Polluants ou non, les sables bitumineux? Le Canada et l'Union européenne sont en train de jouer au chat et à la souris sur cette question qui risque d'avoir d'importantes conséquences commerciales. Et pour l'instant, les pressions d'Ottawa semblent porter leurs fruits.

L'Union européenne vient en effet de modifier un document de travail qui affirmait noir sur blanc que le pétrole extrait des sables bitumineux est plus polluant que celui provenant d'autres sources. Or, une nouvelle version produite ce mois-ci et que La Presse Affaires a pu consulter ne fait plus mention des sables bitumineux.

Bref, si cette version du document est acceptée, aucune distinction environnementale ne sera faite entre le pétrole provenant des sables bitumineux et celui provenant de sources «traditionnelles».

La volte-face a fait bondir les associations environnementales.

«Faire sauter ces distinctions irait complètement à l'encontre de ce que les législateurs essaient de faire, c'est-à-dire diminuer les réductions de gaz à effet de serre non seulement sur papier, mais aussi dans la vraie vie», dénonce Nusa Urbancic, responsable des dossiers touchant les carburants pour l'organisation environnementale Transport&Environment, située à Bruxelles.

L'affaire est loin d'être anodine. Le document européen dont il est question servira à calculer quelle quantité de gaz à effet de serre (GES) émet exactement chaque type de carburant. Il s'inscrit dans la volonté de l'Europe d'obliger les fournisseurs de pétrole à réduire leurs émissions de 6% d'ici 2020.

Une première version, publiée en 2009 et rendue publique pour consultations, statuait que le pétrole extrait des sables bitumineux émet en moyenne 107 grammes de CO2 par mégajoule d'énergie produite, comparativement à 85,8 pour le pétrole «conventionnel».

Dans la nouvelle version du document, la catégorie des sables bitumineux n'existe plus. Ce document fera l'objet de discussions auprès des différents pays européens au cours des prochains mois.

Des pressions d'Ottawa

Le Canada, qui vient de perdre une bataille similaire avec la Californie, a vivement réagi quand l'Europe a envisagé l'idée de créer une catégorie spéciale pour le pétrole provenant des sables bitumineux.

«Le Canada est très préoccupé par l'approche européenne actuellement discutée, qui pourrait limiter l'approvisionnement d'une source sécuritaire en faveur de pétrole provenant des pays de l'OPEP (Organisation des pays exportateurs de pétrole)», a écrit l'ambassadeur canadien auprès de l'Union européenne, Ross Hornby, dans une lettre envoyée en janvier dernier au directeur général de l'Environnement de la Commission européenne.

Dans cette missive, que La Presse Affaires a obtenue, l'ambassadeur affirme que l'idée de considérer les sables bitumineux plus polluants est basée sur de «fausses conceptions» et résulterait en un «traitement discriminatoire».

Quel serait l'impact commercial d'une telle mesure?

«L'Union européenne n'est pas un marché actuellement pour le pétrole brut canadien. Mais ce qui est en jeu dans ce débat, c'est la capacité du pétrole provenant des sables bitumineux de concurrencer les autres sources de pétrole brut», répond Travis Davies, porte-parole de l'Association canadienne des producteurs pétroliers.

«Il est important pour nous d'être capables de rivaliser d'égal à égal dans n'importe quel marché du monde», continue M. Davies.

En mai dernier, le gouvernement canadien avait aussi mis de la pression sur le gouverneur de la Californie, Arnold Schwarzenegger, qui voulait adopter des normes environnementales similaires à celles de l'Europe. En vain: la Californie a maintenu le cap, et les émissions du pétrole provenant des sables bitumineux sont aujourd'hui considérées plus élevées que celles du pétrole «conventionnel».

Dans sa lettre envoyée à l'Union européenne, le Canada arguait que les émissions résultats de l'extraction et de l'utilisation du pétrole provenant des sables bitumineux ne sont que de 5 à 15% plus élevées que celles du pétrole consommé aux États-Unis, des chiffres contestés par les organisations environnementales.

Ottawa avertissait aussi l'Europe qu'il sera bien difficile de distinguer le pétrole qui provient des sables bitumineux de celui qui provient des sources conventionnelles, puisque les deux se retrouvent dans les mêmes pipelines et sont allègrement mélangés avant d'être exportés.

Il n'a pas été possible de parler au gouvernement fédéral hier.