Le président d'Hydro-Québec n'ayant même pas daigné répondre à sa demande de renégociation du prix de l'énergie de Churchill Falls, Terre-Neuve a mis sa menace à exécution et déposé une poursuite hier en Cour supérieure du Québec contre la société d'État.

«Nous ne demandons pas une compensation pour les années passées, mais un prix juste pour les années à venir», a résumé hier le président de Nalcor, Ed Martin, lors d'une rencontre avec la presse à Montréal.

Nalcor est la société d'État de Terre-Neuve qui est l'actionnaire majoritaire de Churchill Falls (Labrador) Corporation (CFLCo), la centrale hydroélectrique qui vend toute l'énergie qu'elle produit à Hydro-Québec en vertu d'un contrat signé en 1969 et qui prendra fin en 2041.

CFLCo soutient que beaucoup de choses ont changé depuis la signature de ce contrat. D'abord, la valeur de l'énergie a augmenté après la crise du pétrole de 1973. Ensuite, CFLCo a maintenant accès à un marché d'exportation étant donné qu'Hydro-Québec a, en principe du moins, ouvert son réseau de transport à la concurrence. Lors de la signature du contrat, en 1960, Hydro-Québec était le seul acheteur possible pour l'énergie de Churchill Falls.

La société d'État a l'intention de contester les prétentions de Terre-Neuve. «Le prix de l'électricité au contrat a été établi en fonction des coûts de réalisation et non de l'évolution des prix du marché, a fait valoir le porte-parole d'Hydro-Québec, Marc-Brian Chamberland. Il a rappelé que lors de la signature du contrat, en 1969, «Hydro-Québec a assumé tous les coûts et tous les risques reliés au projet».

CFLCo demande à la Cour de forcer Hydro à payer plus pour l'électricité de Churchill Falls. Actuellement, Hydro-Québec paye un quart de cent par kilowattheure et ce prix diminuera à un cinquième de cent par kilowattheure lors du renouvellement automatique de l'entente en 2016, pour 25 années supplémentaires. C'est seulement 3% de la valeur réelle de l'énergie sur le marché, souligne Terre-Neuve.

CFLCo propose que le prix payé par Hydro-Québec soit établi chaque année selon le calcul suivant: un tiers du prix chargé par Hydro-Québec à ses clients locaux, plus la moitié du prix chargé aux clients américains.

Si cette formule de fixation du prix de l'énergie de Churchill Falls avait été appliquée en 2008, CFLCo aurait reçu entre 600 et 700 millions d'Hydro-Québec, plutôt que seulement 76 millions.

Une partie de ces revenus supplémentaires seraient récupérés par Hydro-Québec, qui est actionnaire minoritaire de CFLCo avec 34,2% des actions, a souligné hier Ed Martin.

À défaut d'obtenir un meilleur prix pour son électricité, Terre-Neuve demande à la cour d'annuler le contrat conclu en 1969 avec Hydro-Québec.

Même si tous les recours précédents de Terre-Neuve contre Hydro-Québec ont échoué, le président de Nalcor estime que cette ultime tentative a des chances de réussir. Des juristes respectés, comme l'ancien juge de la Cour d'appel Jean-Louis Baudouin et l'ancien professeur de droit de l'université McGill Pierre-Gabriel Jobin, estiment que notre cause est bonne, a expliqué M. Martin.

Deux cabinets, Stikeman Elliott et Irving Mitchell Kalichaman, plaideront la cause de Terre-Neuve.

Selon leurs arguments, le refus d'Hydro-Québec de renégocier le contrat est un abus de droit et une violation de la notion de «bonne foi» contenue dans le Code civil du Québec.

Selon les avocats de Terre-Neuve, la violation de la notion de bonne foi a déjà été reconnue par la Cour suprême du Canada, notamment dans une cause opposant la Banque Nationale et Normand, Réjean, Rolland et Bruno Houle, une famille d'industriels québécois.

Terre-Neuve et Hydro-Québec croisent le fer dans une autre cause, celle de l'accès au réseau de transport d'électricité au Québec. Terre-Neuve voudrait pouvoir y faire transiter l'énergie de son futur projet hydroélectrique du Bas-Churchill jusqu'au marché américain, ce que refuse Hydro.