Vendre et acheter des tonnes de gaz à effet de serre... qui n'existent pas : c'est le fondement même de l'économie du carbone, un domaine où le Canada accuse un énorme retard par rapport à l'Europe. Mais les choses pourraient débloquer bientôt au Québec, où des gens ont déjà commencé à générer, compter et transiger des crédits de carbone. Portrait d'une mécanique en train de s'huiler... en prévision du grand départ.

« Regardez-moi ça: les feux de l'enfer! » s'exclame Jean-Claude Michel.L'homme ouvre une porte taillée dans le mur d'une fournaise grosse comme un bungalow; une lumière orangée et une vive chaleur s'en échappent aussitôt.

Nous sommes dans les entrailles de Climatisation et chauffage urbains de Montréal (CCUM), une entreprise privée qui alimente en chaleur plusieurs des plus gros bâtiments de Montréal.

De la Place Ville-Marie à la Tour de la Bourse en passant par la Gare centrale, l'hôtel Delta et plusieurs autres, la vapeur produite ici est dirigée vers le centre-ville par un vaste réseau de canalisations.

Jean-Claude Michel, lui, est directeur de l'endroit.

Il n'y pas si longtemps, c'est surtout du mazout qu'il brûlait dans les quatre immenses chaudières qu'abritent ses installations.

Mais lors du passage de La Presse Affaires, toute la chaleur était générée par du gaz naturel – un combustible qui émet beaucoup moins de souffre et de gaz à effet de serre (GES) dans l'atmosphère.

« On est à une étape importante de notre développement où le gaz naturel va remplacer complètement le mazout. On veut garder le mazout seulement comme solution de rechange », explique M. Michel.

La décision n'a pas été prise pour des raisons économiques. En se donnant la possibilité de brûler deux types de carburant, CCUM pouvait ajuster sa production pour profiter des baisses de prix de l'une ou l'autre des matières.

Mais M. Michel en avait assez de voir son organisme figurer sur la liste des plus gros émetteurs de gaz à effet de serre de la ville.

« On n'était pas pour attendre que le gouvernement bannisse le mazout - on aurait attendu longtemps. Un moment donné, on s'est dit que ça n'avait pas de bon sens. C'était une décision citoyenne, si on veut. »

Il est allé chercher une subvention de deux millions de l'Agence de l'efficacité énergétique pour se doter d'une nouvelle chaudière de 5 millions spécialisée dans le gaz naturel.

Et question d'être encore plus efficace, il installera un système capable de récupérer une partie de la chaleur qui s'échappe de l'usine.

C'est Emmanuel Morin, directeur général de Consulgaz (une filiale de Gaz Métro Plus qui installera la nouvelle chaudière de CCUM), qui lui a lancé l'idée : as-tu pensé vendre les tonnes de gaz à effet de serre que tu sauves avec tous ces projets?

Les rouages encore méconnus de l'économie du carbone venaient de se mettre en marche.

Bientôt, les tonnes de gaz à effet de serre que CCUM n'émettra plus dans le ciel montréalais deviendront des produits financiers qui seront quantifiés, vérifiés et transigés et sur lesquels on fera de la spéculation.

Ces tonnes risquent fort de faire un détour par Wall Street, où se trouvent les grands courtiers en carbone. Peut-être qu'une banque américaine les achètera et les combinera à d'autres produits pour les revendre sous forme de véhicules financiers. Ou alors une grande entreprise les achètera parce qu'elle fait le pari qu'elle en aura besoin dans le futur... ou pour les revendre à profit.

Une mécanique complexe dans laquelle sont impliqués bien des Québécois.