Bouleversant l'échiquier géopolitique régional, la Chine s'est imposée comme un acteur majeur en Asie centrale ces dernières années, sans tapage, brisant l'emprise russe sur les riches ressources énergétiques de cette région également convoitées par les Occidentaux.

Elle en a donné une preuve éclatante en inaugurant la semaine dernière un gazoduc de plus de 1 800 kilomètres, qui part du Turkménistan pour aboutir dans le nord-ouest chinois, après avoir traversé le Kazakhstan et l'Ouzbékistan.

Ce projet est «important pour la Chine dans le cadre de sa stratégie plus vaste d'intensification de ses investissements dans l'énergie en Asie centrale», a commenté IHS Global Insight dans une note.

Et «cela crée une dynamique régionale pour la Chine», estime Thierry Kellner, chercheur au Brussels Institute of Contemporary China Studies. C'est aussi le symbole de sa tranquille montée en puissance en Asie centrale: «Dans les années 90, personne ne pensait que la Chine allait y devenir un acteur aussi important».

Un peu comme en Afrique où la présence chinoise semble être devenue visible du jour au lendemain et où elle a eu «les mêmes pratiques, mais à une échelle plus modeste» en Asie centrale, selon Jean-Pierre Cabestan, professeur à l'Université baptiste de Hong Kong.

Ces pratiques sont fondées sur le commerce, les investissements dans les ressources, notamment les hydrocarbures kazakhs, plus récemment les prêts avantageux, ainsi qu'une forte capacité de mobilisation pour des projets que les Occidentaux pourraient considérer comme infaisables ou trop onéreux.

«Chevron aussi est intéressé par le gaz turkmène. Mais les Occidentaux sont toujours au stade des négociations», relève M. Kellner.

«La Chine a désenclavé le Turkménistan, un régime fermé, où elle est parvenue à briser le quasi-monopole des Russes (...) qui voient d'un mauvais oeil cette percée», renchérit Jean-Pierre Cabestan.

«Tout cela est le résultat d'un dynamisme économique et commercial et aussi de son habileté diplomatique avec des régimes, pas toujours démocratiques, qu'elle ne va pas embêter», ajoute-t-il. Dès l'effondrement de l'URSS, Pékin a avancé ses pions: «il s'agissait de sécuriser ses frontières, de lutter contre le terrorisme, avant même le 11 septembre,» pour ce pays redoutant l'instabilité et la dissidence des minorités musulmanes (ouïghours notamment) peuplant sa région du nord-ouest, le Xinjiang.

Mais, selon Thierry Kellner, «il y a eu une très forte accélération après 2001, à la fois grâce à la création de l'Organisation de coopération de Shanghai (Chine, Russie et quatre pays d'Asie centrale), qui vise à faire contrepoids à l'influence américaine), et à cause des attentats du 11/09, rendant cette région encore plus importante dans le système international».

Depuis «il y a eu un essor du commerce très important, de l'ordre de 30 milliards de dollars en 2008 avec les cinq Républiques d'Asie centrale», précise-t-il.

Ces échanges ont leur revers: les produits chinois, qui ont envahi ces pays, «contribuent à tuer le peu d'industries qui leur restent», indique M. Cabestan.

Cependant, «la coopération avec la Chine a desserré l'étau russe», pour ces pays, qui «restent prudents pour ne pas passer d'un «hêgemôn» à un autre».

La Chine y a gagné son premier gazoduc international, qui viendra compléter un réseau d'oléoducs et réduire la part de ses hydrocarbures importés par la mer, avec risques de piraterie et d'accidents.

L'ouvrage lui livrera à terme 40 milliards de mètres cubes de gaz turkmène, représentant plus de la moitié de sa consommation de 2008, auxquels devraient se rajouter 10 à 20 mds m3 de gaz kazakh et ouzbek.