Alors que le gouvernement de Jean Charest songe sérieusement à augmenter les tarifs d'électricité, Hydro-Québec déboursera 4,75 milliards $ pour se porter acquéreur de la majorité des actifs d'Énergie NB, dans le cadre d'une transaction qui garantira un gel tarifaire de cinq ans aux Néo-Brunswickois.

Il s'agit d'un accord «sans précédent au pays», a déclaré jeudi M. Charest en conférence de presse à Fredericton, aux côtés de son homologue néo-brunswickois, Shawn Graham.

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Le gouvernement québécois devra accroître de quelque 4 milliards $ sa dette, déjà la plus importante au Canada per capita, pour financer cette transaction, dont la clôture est prévue pour le 31 mars 2010. Le solde de 750 millions $ proviendra des fonds propres d'Hydro-Québec.

L'acquisition sera rentable dès la première année, a promis Québec, en évoquant un rendement des capitaux propres de plus de 10 pour cent.

L'année dernière, Énergie Nouveau-Brunswick a dégagé un bénéfice net de 70 millions $ sur des revenus de 1,45 milliard $. Hydro entend faire gonfler les profits à plus de 100 millions $ dès 2010-11.

En vertu du protocole d'entente signé jeudi, Hydro-Québec s'engage à geler les tarifs des clients résidentiels et d'affaires du Nouveau-Brunswick pendant cinq ans. De plus, on abaissera d'environ 30 pour cent les tarifs des grands consommateurs industriels pour les ramener au même niveau que ceux du Québec. Par la suite, les tarifs seront indexés au coût de la vie.

Le Nouveau-Brunswick se trouvera donc pratiquement à armes égales avec le Québec pour attirer sur son territoire des entreprises énergivores, comme des alumineries.

«Le Québec demeure très compétitif», a néanmoins assuré M. Charest, sans donner plus de détails.

Comme les tarifs d'électricité devaient augmenter de trois pour cent par année pour l'avenir prévisible, Fredericton estime que la transaction procurera des économies d'environ 5 milliards $ aux Néo-Brunswickois, soit environ 1400 $ par famille en cinq ans.

Pendant ce temps, les tarifs québécois, qui sont actuellement 60 pour cent moins élevés que ceux du Nouveau-Brunswick, continueront d'augmenter.

Hydro-Québec acquerra les sept centrales hydroélectriques d'Énergie NB et la centrale nucléaire de Point Lepreau, une fois que sa réfection sera terminée, en 2011, de même que les infrastructures de distribution et de transport de l'entreprise.

Le gouvernement du Nouveau-Brunswick conservera une centrale au charbon et deux autres au mazout, qui seront fermées à court terme, ainsi qu'une centrale au charbon (Belledune) et une autre au mazout dont Hydro-Québec pourra réclamer la fermeture avec un préavis d'un an. Entre-temps, Hydro achètera leur production.

Hydro-Québec compte remplacer l'électricité produite par ces centrales polluantes par de l'énergie provenant de ses propres centrales hydroélectriques et parcs éoliens. Québec espère ainsi gagner des crédits de carbone.

Plus fondamentalement, la société d'État mise sur cette acquisition et sur la situation géographique avantageuse du Nouveau-Brunswick pour faciliter l'exportation de ses importants surplus d'électricité vers les États-Unis.

Or, Terre-Neuve-et-Labrador a les mêmes ambitions et dénonce la transaction proposée. Dans l'espoir d'apaiser la province, Hydro-Québec promet de lancer des appels d'offres publics pour les besoins futurs d'Énergie NB et de donner accès au réseau néo-brunswiskois à tout fournisseur d'électricité qui veut exporter aux États-Unis.

«La tarte est assez grande pour tout le monde», a martelé M. Charest, en faisant référence aux besoins massifs des Américains.

«Nous devons apprendre à travailler ensemble», a ajouté le premier ministre, répliquant ainsi aux critiques acerbes de son homologue terre-neuvien, Danny Williams, qui a dit craindre une «mainmise» d'Hydro-Québec dans les Maritimes.

Il faut dire que Québec a amorcé des négociations semblables avec l'Ile-du-Prince-Édouard et souhaite faire de même avec la Nouvelle-Ecosse.

Même s'il respecte les règles d'un marché ouvert, le partenariat Québec-Fredericton compliquera la vie de Terre-Neuve, qui aura du mal, dans les circonstances, à justifier la construction d'une nouvelle centrale sur le fleuve Churchill, au Labrador, et d'une ligne de transport vers le Nouveau-Brunswick ou même la Nouvelle-Écosse, a souligné Pierre-Olivier Pineau, professeur à HEC Montréal.

Stratégiquement et financièrement, la transaction est excellente pour le Québec, a estimé le spécialiste, en déplorant toutefois qu'elle ne s'inscrive pas dans un cadre pancanadien.

Jean Charest a tout de même présenté la transaction comme «une preuve que le Canada fonctionne». Il a soutenu qu'un gouvernement péquiste n'aurait pas pu la réaliser.

Fredericton utilisera le produit de la vente pour rembourser la dette d'Énergie NB, qui totalise justement 4,75 milliards $.

Du coup, l'endettement de la province fondra de 40 pour cent. Loin d'être triomphaliste, M. Graham a reconnu que la vente d'une institution publique allait susciter un vif débat.

Énergie NB deviendra une filiale en propriété exclusive d'Hydro-Québec, mais conservera son siège social à Fredericton.

Hydro s'est engagé à respecter les conventions collectives en vigueur et à ne licencier aucun employé au moment de la clôture, mais a reconnu que la fermeture des centrales polluantes entraînerait la suppression d'au moins 200 postes.

Même si elle cessera d'être une société d'État néo-brunswickoise et que ses profits aboutiront désormais au Québec, Énergie NB n'aura pas à verser d'impôt à Fredericton.

Le protocole d'entente fera l'objet d'une consultation publique au Nouveau-Brunswick. L'opposition conservatrice l'a déjà fustigé.