Les règles qui gouvernent l'industrie forestière depuis 25 ans s'apprêtent à disparaître pour être remplacées par un nouveau régime forestier qui n'augure rien de bon pour AbitibiBowater et les autres géants forestiers qui luttent pour leur survie.

Plutôt que de voir le coût de la matière première baisser comme elle le réclame, l'industrie a maintenant la certitude que ses coûts vont augmenter, a expliqué hier Guy Chevrette, porte-parole du Conseil de l'industrie forestière du Québec, qui participait à Québec aux consultations sur le projet réforme du régime forestier.

Le coût du bois pourrait en effet augmenter, estime Luc Bouthillier, professeur à l'Université Laval et spécialiste de la forêt. «On n'aura pas le choix, explique-t-il. Si on veut davantage de bois, il faudra mettre de l'effort humain et ça, ce n'est pas gratuit. On est rendus là parce qu'on a grugé l'inventaire.»

Selon lui, le nouveau régime forestier marque la fin du monde tel que l'ont connu les grandes sociétés papetières qui ont régné en maîtres dans la forêt québécoise. Ça fera mal, parce qu'il y aura des fermetures d'usines et des pertes d'emplois, surtout dans les régions. «C'est normal qu'elles s'y opposent. Mais la solution n'est pas de prolonger l'agonie des AbitibiBowater de ce monde», souligne-t-il.

Le nouveau régime forestier proposé par Claude Béchard est maintenant piloté par celle qui lui a succédé au ministère des Ressources naturelles, Nathalie Normandeau.

Au cours d'un entretien avec La Presse Affaires hier, elle a indiqué que son intention était de faire adopter le nouveau régime forestier rapidement, et avant la fin de l'année si possible.

En plus d'abolir les contrats d'approvisionnement et d'aménagement forestier (les CAAF), le régime accorderait une responsabilité aux régions dans la gestion de leur forêt et mettrait aux enchères le bois de 30% de la forêt publique. Le projet vise aussi à donner plus de matière première aux entreprises de transformation du bois et à d'autres activités prometteuses, comme le bioraffinage.

Faire une place aux PME est une nécessité, selon Luc Bouthillier. «Actuellement, quelqu'un qui arrive avec l'idée du siècle ne peut même pas avoir de bois pour la réaliser», précise-t-il.

La presque totalité du bois de la forêt publique est en effet alloué par des contrats d'une durée de 25 ans aux grandes entreprises intégrées qui coupent le bois et en font des 2X4, de la pâte et du papier, des activités de moins en rentables.

Le Conseil de l'industrie forestière du Québec en convient, les entreprises du Québec ont le panier de produits le moins rentable au monde.

L'industrie tient malgré tout à conserver les garanties d'approvisionnement qu'elle a actuellement, précise Guy Chevrette, de même que le contrôle sur les activités en forêt.

Les entreprises ne voient pas d'un bon oeil les responsabilités accrues déléguées aux régions. «Ça risque de technocratiser encore davantage la gestion de la forêt», estime Guy Chevrette.

Le porte-parole de l'industrie forestière s'attend à ce que la ministre Normandeau apporte des «amendements majeurs» au projet de régime forestier, qui répondront aux inquiétudes des entreprises.

«Il y a aura des changements, mais pas sur le fond», a indiqué hier Nathalie Normandeau.

Le professeur Luc Bouthillier, pour sa part, croit que le projet sera adopté en dépit des défis qu'il soulève pour l'industrie.

«On n'a pas le choix. C'est de notre avantage comparatif qu'il s'agit. Si toutes les entreprises existantes ferment, les arbres ne déménageront pas en Chine.»