La situation d'affaires s'aggrave à la société papetière AbitibiBowater, au cinquième mois de sa protection de faillite.

Au point où pour réduire sa perte, doublée à 510 millions US durant les seuls trois mois d'avril à juin, l'entreprise doit accentuer ses arrêts de production et envisager d'autres fermetures complètes d'usines.

«Aucun scénario n'est écarté pour le moment, surtout dans la production de papier journal où la baisse de la demande est encore pire que ce que nous avions prévu en début d'année», acquiesce Pierre Choquette, principal porte-parole au siège social d'AbitibiBowater, à Montréal.

De fait, des chiffres tirés de documents déposés par la société papetière auprès des autorités américaines et consultés par La Presse Affaires sont pour le moins troublants.

Dans son plus important secteur d'affaires, la production de papier journal, les revenus d'AbitibiBowater durant les mois d'avril à juin étaient en chute annualisée de 44%.

Au 30 juin dernier, la société papetière subissait une perte d'exploitation d'au moins 19 cents pour chaque dollar de vente de papier journal.

Mais depuis, en juillet seulement, le prix moyen du papier perçu par AbitibiBowater s'est encore replié d'au moins 6%, selon les derniers documents déposés en Cour supérieure, à Montréal. Du coup, cette détérioration accentuée du marché du papier journal aggrave le risque de pénurie de liquidités chez AbitibiBowater au cours des prochains mois, alors qu'elle devra présenter un règlement à ses créanciers pour éviter la faillite.

Malgré sa très grande taille, la société papetière doit se débrouiller d'une semaine à l'autre avec guère plus de 125 millions US en liquidités, selon le plus récent rapport du contrôleur nommé par la Cour supérieure.

Même les gains nets attendus de reventes d'actifs au cours des prochaines semaines - 60% d'une centrale hydroélectrique sur la Manicouagan vendue à Hydro-Québec et Alcoa, 121 000 hectares de forêts au Québec vendues à sociétés régionales - pourraient ne s'avérer qu'un baume financier à court terme.

Autre indice troublant: en début d'année, avant sa déclaration d'insolvabilité de la mi-avril, AbitibiBowater espérait s'en tenir à une réduction mensuelle de capacité papetière de l'ordre de 20 000 tonnes métriques par année.

Or, depuis ce temps, elle a dû faire cinq fois pire, à hauteur de 100 000 tonnes métriques de capacité annualisée, confirme-t-on au siège social.

Il s'agissait surtout d'arrêts sporadiques de machines à papier dans la plupart des usines, ou d'usines au complet pour une courte période.

Encore ce mois-ci, 15 des 21 usines papetières d'AbitibiBowater au Canada et aux États-Unis sont affectées par des arrêts partiels et temporaires de production.

Au Québec seulement, au moins quatre des neuf usines papetières d'AbitibiBowater sont touchées par des interruptions «de quelques jours à trois semaines», dit-on au siège social.

Fermetures

Mais pour la suite, face à l'aggravation du marché du papier journal, AbitibiBowater risque d'avoir à décider de fermetures complètes d'usines «pour une période indéterminée».

Ce fut le cas le mois dernier à l'usine de papier journal de Thunder Bay, dans le nord de l'Ontario, d'une capacité de 250 000 tonnes par année. De l'avis d'analystes, d'autres fermetures d'usines de ce genre sont inévitables à court terme.

«Le marché du papier journal en Amérique du Nord a plongé. L'industrie se retrouve avec un autre surplus de capacité de l'ordre de 1,5 à 2 millions de tonnes métriques, soit de 15% à 20% du total», explique Richard Kelertas, analyste chez Capitaux Dundee, à Montréal, dans une récente note à ses clients-investisseurs.

L'inquiétude monte aussi parmi les représentants syndicaux des milliers de salariés et de retraités d'AbitibiBowater.

«Il faut s'attendre à d'autres arrêts de production et même des fermetures d'usines qui pourraient être d'envergure au Québec au cours des prochains mois», appréhende Sylvain Parent, président du Syndicat des travailleurs du papier et de la forêt (CSN).

Ce syndicat représente 3000 salariés actuels d'AbitibiBowater au Québec et un peu plus de 4000 retraités.

Néanmoins, selon M. Parent, ces autres amputations manufacturières qui menacent chez AbitibiBowater, aussi graves soient-elles, représentent sans doute une étape incontournable pour la survie de l'entreprise.

«La survie d'AbitibiBowater, même rapetissée, est la principale préoccupation de nos membres parce qu'en cas de faillite, c'est le tiers de leur caisse de retraite qui disparaîtrait», a-t-il indiqué.

«Entre-temps, c'est dans nos conventions collectives que nous nous attendons d'être très sollicités d'ici peu, pour le plan de redressement.»