Afin de venir en aide à une industrie des pâtes et papiers en crise, le gouvernement fédéral annonce un investissement de 1 milliard de dollars, exclusivement dédié aux entreprises produisant de la «liqueur noire». Ottawa répond ainsi à une petite partie des demandes de l'industrie, soulevant la grogne des travailleurs et de l'opposition, qui réclament davantage.

Le nouveau programme «d'écologisation des pâtes et papiers», annoncé hier par la ministre des Ressources naturelles, Lisa Raitt, et le ministre responsable du développement économique pour le Québec, Denis Lebel, vise à encourager le virage vert dans un secteur durement touché par la récession, mais aussi par la baisse générale du tirage des journaux.

Les entreprises qui participeront au programme recevront du gouvernement un crédit de 16 cents par litre de liqueur noire produite, jusqu'à l'épuisement du milliard promis. Mais elles devront obligatoirement investir les sommes obtenues dans l'amélioration de l'efficacité énergétique ou d'autres mesures de performance environnementale de leurs usines.

La liqueur noire est un sous-produit du processus de pâtes et papiers utilisé comme carburant, et considérée comme une énergie propre par les États-Unis. L'administration américaine subventionne d'ailleurs à grands frais, 6 milliards de dollars, ses usines de pâtes et papiers, créant une concurrence jugée déloyale par l'industrie canadienne.

Avec cette mesure, Ottawa estime ainsi aider les entreprises à maintenir leur compétitivité face aux voisins du Sud.

Le gouvernement estime par ailleurs que ce coup de pouce ne contrevient pas à l'Accord sur le bois d'oeuvre.

Seules 27 usines au Canada produisent de la pâte Kraft et seront donc admissibles, mais les ministres se défendent bien d'avoir favorisé une région du pays plutôt qu'une autre.

«Les entreprises qui font affaire un peu partout au pays vont pouvoir utiliser dans l'ensemble de leurs usines les crédits générés par ce programme-là qui est mis en place», a dit le ministre Lebel. Par exemple, une entreprise qui recevra des crédits du gouvernement grâce à son usine en Colombie-Britannique pourra dépenser les sommes obtenues dans un autre de ses usines, à pâte mécanique, ailleurs au pays. Les investissements devront être complétés d'ici trois ans.

Au Québec, seule une poignée des 50 sociétés papetières de la province sera admissible au programme, dont les deux plus grosses sont SFK, à Saint-Félicien, et Papiers Fraser, à Thurso, fermée depuis le début du mois de juin, pour une durée indéterminée.

Néanmoins, le ministre estime que plus de 2500 travailleurs québécois pourront en profiter.

Plus de 300 communautés dépendent de la forêt au Canada, particulièrement au Québec et en Ontario. Plus de 55 000 personnes ont perdu leur emploi dans les deux dernières années, sur les 300 000 travailleurs forestiers de l'ensemble du Canada.

L'opposition à Ottawa a décrié le programme annoncé par le gouvernement conservateur, jugeant que c'est «trop peu, trop tard».

«Les régions de production forestière vont être très déçues de l'annonce des conservateurs aujourd'hui, a dit le député néo-démocrate Thomas Mulcair. Ça ne fait rien pour venir en aide immédiatement. Lorsqu'on parle de dépenses en capital, il faut avoir les liquidités, et le problème c'est que l'on n'a pas de garanties de prêts.»

L'annonce de la ministre Raitt ne sera qu'»un coup d'épée dans l'eau», sans ces garanties de prêts aux entreprises en difficulté, estime le député d'Outremont.

Pour plusieurs, cette mesure ne viendra qu'aider les entreprises qui avaient déjà les reins suffisamment solides pour traverser la crise.

«C'est bon pour des entreprises qui ont des liquidités. Mais les entreprises aux prises avec des difficultés n'ont rien», a ajouté M. Mulcair.

Au Bloc québécois, on estime que si le gouvernement conservateur avait agit plus vite, «ça aurait pu éviter des fermetures et éviter de mettre en péril certaines usines qui pourront même peut-être ne pas rouvrir», a dit le chef bloquiste, Gilles Duceppe.

Selon le critique libéral Denis Coderre, la mesure est insuffisante car elle ne touche que quelques usines au Québec.

Au son des scies mécaniques, des milliers de travailleurs de la forêt avaient manifesté au début du mois dans les rues d'Ottawa, pour réclamer une aide d'urgence du fédéral, incluant des garanties de prêts, des modifications à l'assurance emploi et la protection des régimes de retraite. Les forestiers rappelaient alors à grands cris que, pour sauver l'industrie automobile, les gouvernements n'ont pas hésité à délier les cordons de la bourse.