Les travailleurs de la société papetière AbitibiBowater qui sont inquiets pour leur régime de retraite ont marqué un point en justice, hier, en obtenant le maintien de la récente bonification de leur régime.

Toutefois, leurs inquiétudes à propos de l'important déficit de leurs caisses de retraite, que la société veut cesser de renflouer, sont encore le sujet de délibérations spéciales en cour. Mais d'abord, hier, le juge de la Cour supérieure qui supervise la protection de faillite a déclaré «nulle et illégale» une décision récente d'AbitibiBowater se suspendre la bonification du régime de retraite, juste avant son entrée en vigueur le 1er mai.

Le juge a aussi critiqué AbitibiBowater qui, à son avis, tentait d'utiliser sa protection judiciaire obtenue le 17 avril afin «de modifier une clause de convention collective et en évacuer certains droits de ses travailleurs».

La bonification du régime de retraite prévoit le devancement de 58 à 57 ans de l'âge de la retraite sans pénalité de prestations, pour les salariés depuis plus de 20 ans. Elle comprend de légères majorations des taux de cotisation des travailleurs syndiqués et de l'entreprise à la caisse de retraite.

En fin de journée hier, AbitibiBowater indiquait qu'elle n'entendait pas en appeler de la décision du juge Gascon.

Entre-temps, ce gain des travailleurs en Cour n'a pas résolu leur autre majeur envers leurs régimes de retraite, et pour lequel les délibérations reprennent ce matin au palais de justice de Montréal.

Il s'agit de la requête d'AbitibiBowater de suspendre des paiements d'environ 13 millions de dollars par mois à guise «cotisations d'équilibre», c'est-à-dire destinées à renflouer l'imposant déficit des caisses de retraite, qui totalise quelque 1,3 milliard. (En comparaison, les cotisations courantes de l'entreprise, elles, doivent être maintenues même sous protection judiciaire de faillite.)

En cour, AbitibiBowater a plaidé le risque trop élevé de panne de liquidités dès les prochaines semaines pour demander pour suspendre la part des «cotisations d'équilibre» parmi ses paiements aux caisses de retraite.

Autrement, selon son avocat Guy Martel, AbitibiBowater risque de «mettre en péril toutes ses activités et la continuité de sa restructuration selon la Loi des arrangements avec les créanciers».

La requête a été appuyée par le contrôleur de sa restructuration, la firme Ernst&Young, qui a produit en cour les estimations financières plutôt inquiétantes pour AbitibiBowater à court terme.

En bref, la société n'aurait que quelques dizaines de millions en caisse d'une semaine à l'autre, «trop peu» pour une entreprise de cette envergure, selon Ernst&Young.

Ainsi, AbitibiBowater risquerait la panne sèche financière dès la mi-juillet, avec l'arrêt total de ses activités et des conséquences financières immédiates pour ses fournisseurs et ses salariés.

Un avocat représentant des créanciers qui détiennent pour près de 4 milliards de divers titres de dette de la société a plaidé dans le même sens.

Selon l'avocat Fred Myers, ne pas suspendre les «cotisations d'équilibre» d'AbitibiBowater à ses caisses de retraite reviendrait à consentir un avantage à un type de créances au détriment des autres, au risque de faire échouer la restructuration.

Mais selon le principal avocat syndical, AbitibiBowater empire sa situation financière à court terme pour surseoir à ses obligations envers ses travailleurs. Selon Yves Saint-André, l'entreprise sait depuis des années que ses caisses de retraite sont en déficit important. Et malgré tout, elle n'a fait «aucune tentative pour faire un arrangement (avec les syndicats) avant de recourir à la cour».

«Maintenant, on a l'impression qu'AbitibiBowater veut se servir du déficit des caisses de retraite comme d'un moyen de se financer.»

En cour, l'avocat du syndicat des travailleurs du papier (SCEP), qui représente 7500 salariés d'AbitibiBowater au Canada, était flanqué d'un avocat délégué par la CSN, qui représente quelques centaines de salariés de la société au Québec. Aussi, la Régie des rentes du Québec, qui supervise l'administration des régimes de retraite, était représentée. Selon son avocat, Louis Robillard, «dans le contexte économique actuel, c'est une préoccupation pour nous que les déficits des régimes de retraite ne servent pas aux entreprises comme une source indirecte de financement.»