Le gouvernement terre-neuvien entend obtenir, par le biais de la Régie de l'énergie, le droit de se servir du réseau d'Hydro-Québec pour vendre aux États-Unis la production des futures centrales du Bas-Churchill, au Labrador.

Au cours des derniers mois, Newfoundland and Labrador Hydro (NLH) a déposé auprès de la Régie quatre plaintes à cet effet, dont trois sont toujours actives.

Le mois dernier, l'organisme réglementaire a débouté Hydro-Québec, qui soutenait que la Régie n'avait pas la compétence pour trancher le litige. Les deux parties se retrouveront donc devant les régisseurs du 27 octobre au 13 novembre pour faire valoir leurs arguments respectifs.

Après des années de tergiversations, le gouvernement terre-neuvien a décidé d'aller de l'avant avec le projet hydroélectrique du Bas-Churchill, qui doit produire 2800 mégawatts (MW) d'électricité à partir de 2015. Or, le Québec se trouve entre le Labrador et les clients potentiels que sont les États-Unis et l'Ontario.

À plusieurs reprises, Québec et Terre-Neuve ont tenté d'en arriver à un accord négocié. Le premier ministre Jean Charest a assuré en février que la porte restait «ouverte» à une telle entente, mais il n'y a actuellement aucune discussion en cours.

NLH a donc décidé d'emprunter une autre voie en déposant directement auprès d'Hydro-Québec des demandes de transport d'électricité.

Hydro a répondu qu'elle ne disposerait pas d'une capacité de transport suffisante pour répondre à la demande de Terre-Neuve à partir de 2015, en raison notamment de l'entrée en service du complexe de La Romaine, sur la Côte-Nord, à compter de 2014.

Le hic, c'est que NLH soutient avoir placé une «réservation prioritaire à celle d'Hydro-Québec» sur les lignes de Churchill Falls. Selon Terre-Neuve, Hydro serait «en défaut» d'avoir effectué elle-même une «réservation ferme» sur ces lignes.

À cela, Hydro-Québec rétorque que céder la place à NLH l'empêcherait de s'approvisionner en électricité «patrimoniale», celle qui est vendue à bas prix aux Québécois. En vertu d'un contrat à long terme qui court jusqu'en 2041, le Québec achète, à des tarifs préférentiels qui irritent les Terre-Neuviens, la quasi-totalité de la production de la centrale du Haut-Churchill, d'une capacité de 5429 MW.

«Juste prix»

En entrevue à La Presse Canadienne, vendredi, la ministre terre-neuvienne des Ressources naturelles, Kathy Dunderdale, a dit avoir bon espoir de l'emporter contre Hydro-Québec devant la Régie. Elle s'appuie notamment sur la récente entente prévoyant le transport, sur le réseau québécois, d'un petit bloc d'électricité terre-neuvienne provenant de la centrale du Haut-Churchill, pour vente au marché américain.

«Les règles nord-américaines prévoient que l'accès au marché énergétique doit être ouvert», a déclaré la ministre.

Mme Dunderdale a expliqué que Terre-Neuve était disposé à payer à Hydro le «juste prix» pour le transport des 2800 MW que doivent produire les futures centrales du Bas-Churchill, y compris pour la construction des nouvelles lignes qui seront rendues nécessaires.

Dans l'éventualité d'une défaite à la Régie, Terre-Neuve devrait alors se rabattre sur son plan B: installer des câbles sous-marins pour transporter l'électricité des Maritimes vers les États-Unis, puis possiblement jusqu'à l'Ontario. Kathy Dunderdale a assuré qu'il ne s'agissait pas nécessairement d'un scénario plus coûteux que de passer par le Québec.

Terre-Neuve continue d'espérer qu'Ottawa l'aidera à financer, notamment par le biais de garanties de prêts, la construction des deux centrales du Bas-Churchill, un projet dont le coût total doit osciller entre 6 et 9 milliards $. La province a récemment demandé à six firmes, dont SNC-Lavalin, si elles étaient intéressées à participer au projet. L'entreprise montréalaise refuse de se prononcer publiquement sur le sujet.

Mme Dunderdale n'a pas exclu, vendredi, qu'une éventuelle aide fédérale puisse servir à financer l'installation de câbles sous-marins ou même, indirectement, la construction de nouvelles lignes de transport d'Hydro-Québec.

«Le Québec profiterait lui aussi de la mise en place d'un réseau national de transport d'électricité», a affirmé la ministre.

Le gouvernement de Jean Charest s'oppose pourtant avec véhémence à tout financement fédéral de lignes de transport, rappelant que le Québec a payé lui-même pour les infrastructures d'Hydro.