Une dette totale de plus de 8 milliards US. Une perte nette frôlant les 100 millionsUS par mois. Une valeur boursière anéantie à une trentaine de millions.

Pour éviter la faillite totale, la plus grosse société papetière et forestière au Québec, AbitibiBowater [[|ticker sym='T.ABH'|]], doit finalement se résoudre à se placer sous protection judiciaire.

 

Elle l'a fait hier devant un tribunal du Delaware aux États-Unis, pour ses activités liées surtout à sa filiale américaine Bowater. Et elle fera de même ce matin au palais de justice de Montréal, surtout pour les activités de sa filiale canadienne Abitibi-Consolidated.

Un processus complexe de restructuration de l'imposant passif d'AbitibiBowater se mettra donc en branle, dont l'aboutissement demeure très incertain.

Dans l'immédiat, l'ensemble de ses activités d'affaires, même affaiblies, se poursuivent, assurait-on hier au siège social de Montréal.

D'autant plus que la société papetière affirme avoir 410 millionsUS en fonds d'urgence de restructuration: 200 millionsUS en financement à demande pour ses activités aux États-Unis et 210 millionsUS en paiements reportés au Canada.

«Les décisions annoncées assurent la poursuite des activités pour AbitibiBowater. Elles ont été prises uniquement après l'épuisement des autres options viables de refinancement de nos dettes à long terme», a commenté le président et chef de la direction, David Paterson.

Selon les documents déposés en cour au Delaware, AbitibiBowater a décidé de se protéger de la faillite après l'échec ces derniers jours de quelque 4 milliards US en refinancements qu'elle négociait depuis février.

Par ailleurs, au moins 2,7 milliards US de sa dette non garantie sont partagés parmi un lot de seulement 35 créanciers, surtout des firmes financières américaines comme Bank of New York Mellon Global.

Pour la suite, tous les scénarios sur l'avenir d'AbitibiBowater demeurent ouverts, estiment des analystes

Même celui d'un dépeçage de certains actifs - usines, concessions forestières, centrales d'énergie - les plus facilement monnayables à l'avantage des créanciers.

Aussi, la restructuration financière d'AbitibiBowater pourrait imposer la fermeture définitive d'autres usines de papier journal, même après le tamisage d'actifs survenu après la fusion de 2007.

Au Québec seulement, AbitibiBowater a neuf usines de papier qui regroupent 3600 salariés, lorsqu'elles sont en pleine production.

«Le surplus d'offre est un important facteur des problèmes du marché du papier journal en Amérique du Nord et d'autres usines devront être fermées. Chez AbitibiBowater, il faudra voir quelles usines pourront survivre à la restructuration», selon Paul Quinn, principal analyste de l'industrie forestière chez Marchés des capitaux RBC.

«La crise du marché du papier journal est telle que même de bonnes usines comme celles de Baie-Comeau et d'Amos (Abitibi) risquent d'être affectées par cette restructuration», a mentionné un autre analyste papetier, sous le couvert de l'anonymat requis par sa firme de courtage.

Quant aux usines de sciage d'AbitibiBowater, dont 22 sont au Québec, impliquant 3450 emplois, leur sort demeurera lié aux chances encore minces d'une relance de la construction résidentielle aux États-Unis.

La grave crise qui perdure dans les deux marchés principaux d'AbitibiBowater - le papier journal et le bois de sciage - est d'ailleurs un facteur singulier qui compliquera sa restructuration financière.

«Nous affrontons deux gros problèmes: les marchés défavorables et la crise financière. Et l'un ne règle pas l'autre, bien au contraire», a commenté Jean-Philippe Côté, porte-parole au siège social d'AbitibiBowater.

Pourtant, il y a deux ans à peine, c'est tout le contraire d'un tel scénario que vantaient ses dirigeants lors de l'annonce de la fusion entre Abitibi-Consolidated et sa rivale américaine Bowater.

Cette transaction de 4,8 milliards US, payée par échange d'actions, devait créer un géant forestier nord-américain capable de mieux traverser la crise de l'industrie.

Aussi, la nouvelle AbitibiBowater devait produire des économies de l'ordre d'au moins 250 millions US par année. Mais la réalité fut tout autre. En dépit d'un chiffre d'affaires regroupé à 1,6 milliard US par trimestre, et une influence haussière sur les prix du papier journal avec le contrôle de 43% de la capacité continentale, la nouvelle AbitibiBowater continua d'empirer ses pertes d'exploitation.

Selon ses plus récents résultats trimestriels, au 30 septembre dernier, cette perte était rendue à 302 millions US.

C'était 50 millions de plus que chacun des trois trimestres précédents, portant à un peu plus de 1 milliard la perte cumulée depuis la fusion.

Pour la suite, AbitibiBowater n'a pas encore divulgué ses résultats de quatrième trimestre et de l'exercice 2008 complet, après un consentement spécial des autorités boursières.

Mais au siège social, hier, on indiquait que ces résultats de fin d'exercice 2008 seront publiés «à la fin d'avril», parmi les procédures de la restructuration sous protection judiciaire.