Mai 2008. Dick Evans, alors président de Rio Tinto Alcan (RTA), nage dans l'enthousiasme. Les projets d'investissements du nouveau géant de l'aluminium au Saguenay-Lac-Saint-Jean seront «accélérés» et passeront de 2,1 à plus de 3 milliards US, déclare-t-il.

Huit mois plus tard, l'humeur a changé. Du tout au tout. Les cours de l'or gris se sont effondrés sur les marchés. Rio Tinto, qui a payé 38 milliards pour la québécoise Alcan en juillet 2007, veut licencier 14 000 personnes dans le monde. Le chantier de l'usine-pilote AP50 de Jonquière tourne au ralenti.

 

Les syndiqués, entrepreneurs et élus du Saguenay comprennent très bien les impacts de la crise économique actuelle sur les affaires de RTA. Mais plusieurs n'en demeurent pas moins extrêmement frustrés devant la baisse de cadence des travaux. En bonne partie parce que l'entreprise a reçu une copieuse aide gouvernementale pour mettre son projet AP50 de l'avant en 2006.

«Les gens n'acceptent pas ça dans la région», tranche Jean-Marc Crevier, représentant régional de la FTQ, centrale qui compte une dizaine de fournisseurs de RTA parmi ses membres.

Alcan a reçu un prêt sans intérêt de 400 millions, des avantages fiscaux de 112 millions, un bloc d'énergie additionnel de 225 MW au tarif industriel et une prolongation jusqu'en 2058 de ses droits sur la rivière Péribonka en échange d'une garantie d'investissements dans la région, en 2006.

Plusieurs estiment que l'entreprise a un «devoir» de continuer ses projets, d'autant plus qu'elle n'a utilisé jusqu'à maintenant que 165 millions de son prêt sans intérêt. Il faut investir pendant le ralentissement économique, disent-ils en somme, un peu comme le gouvernement fédéral le fera avec les infrastructures.

«Rio Tinto Alcan a un avantage qu'aucun concurrent n'a, soit un prêt sans intérêt, dit Alain Gagnon, président du Syndicat des travailleurs d'Arvida. Si ce n'est pas 200 millions, que le gouvernement leur donne 50 ou 60 millions, au moins pour garder notre matière grise à l'ouvrage.»

Selon M. Gagnon, le premier ministre Jean Charest aurait montré une certaine ouverture à accélérer le versement du prêt, au terme d'une rencontre tenue en début de semaine en compagnie du syndicat et de la nouvelle présidente de RTA, Jacynthe Côté.

Selon Dominique Bouchard, vice-président régional chez RTA, une centaine d'employés travaillent encore sur le projet de l'AP50. D'autres sources - chez les syndicats et les équipementiers - parlent plutôt d'une dizaine. Impossible à vérifier puisque La Presse Affaires n'a pu visiter le chantier.

M. Bouchard s'attend à ce que 150 personnes s'affairent sur le projet l'été prochain, comparativement à la pointe de 250 déjà atteinte. «Aussitôt que la reprise va se faire, on va relancer nos projets de croissance et d'amélioration», ajoute-t-il.

RTA a jusqu'en 2018 pour réaliser son programme d'investissements de 2,1 milliards (par la suite bonifié à 3 milliards) à Jonquière et Alma, selon l'entente de continuité de 2006, dit M. Bouchard.

Qu'est-ce que l'AP50?

Le projet de l'usine-pilote AP50 a été lancé en grande pompe par Alcan en 2006. En gros, il s'agit d'une technologie d'électrolyse révolutionnaire, qui permettra de fabriquer de l'aluminium de façon plus intensive - et économique - grâce à un courant électrique d'une puissance de 500 kilo-ampères. La première phase de l'usine doit permettre de produire 60 000 tonnes par an à Jonquière, une production qui sera bonifiée à plus de 400 000 tonnes si les trois phases sont construites. Le projet doit aussi générer d'importantes retombées en recherche et développement et chez les équipementiers. Pour l'instant, il tourne au ralenti à cause des difficultés financières de Rio Tinto Alcan.