Loin d'être un phénomène isolé, le cumul d'emplois concerne de plus en plus de gens dans la province. Selon l'Institut de la statistique du Québec, ils seraient 177 100 travailleurs dans cette situation. Un chiffre qui a crû de 31% de 2004 à 2014. Choix pour certains, nécessité pour d'autres, le double emploi n'est pas sans danger.

Père de cinq enfants, Michel Roy fait partie de ceux qui ont occupé deux et même trois emplois pour arriver à joindre les deux bouts. «Les employeurs n'embauchaient pas à temps plein, je n'avais pas le choix. Il fallait mettre du beurre sur la table.»

L'homme qui occupe toujours deux emplois, mais de manière saisonnière, n'a jamais vu de problème à donner de son temps à deux employeurs différents.

Francine Sabourin, directrice, développement de la profession, à l'Ordre des conseillers en ressources humaines agréés et CRHA, y voit même un avantage. «Il arrive que deux entreprises s'entendent pour se partager le personnel. C'est quelque chose de courant dans l'industrie touristique, où l'on fait travailler par exemple les mêmes gens l'été au golf et l'hiver sur les pistes de ski. On développe ainsi une certaine polyvalence chez les travailleurs tout en augmentant la rétention.»

Pas interdit, mais...

La situation diffère lorsqu'un travailleur occupe deux emplois ou plus simultanément. La pratique n'est pas interdite en soi, mais il se peut qu'un contrat de travail ou une convention collective l'interdise pour plusieurs raisons, dont des clauses de non-concurrence, de disponibilité ou de confidentialité.

Le site web de l'Ordre des conseillers en ressources humaines agréés rapporte plusieurs cas où des travailleurs ont été licenciés parce qu'ils occupaient un autre emploi et contrevenaient par le fait même à leur contrat. Règle numéro un, toujours s'informer avant de dénicher un second boulot.

Autre règle d'or, ajuster son horaire en fonction des besoins de son emploi. «Il serait difficile d'en être autrement. C'est à l'employé d'organiser son temps, et non l'inverse. Il faut être prudent et donner des disponibilités différentes parce que cela peut rapidement devenir compliqué pour un employeur», mentionne Francine Sabourin.

Des employés épuisés

Maintenir un double emploi n'est pas sans conséquence sur la santé des travailleurs. S'ils arrivent à maintenir le rythme au départ, tranquillement, le cumul des heures, le manque de sommeil, le stress, la pression de la performance mènent souvent les travailleurs au bord de l'épuisement.

Élisabeth Bonin en sait quelque chose. Pendant ses études à la maîtrise, elle occupait un emploi de caissière de soir à raison de 30 heures par semaine, en plus de son travail d'enseignante.

«Je dormais environ cinq heures par nuit. Je travaillais tout le temps. Je n'avais pas le choix. J'étais en début de carrière, je devais gagner en expérience tout en m'assurant une certaine sécurité financière.» Au bout d'un an, elle s'effondre. «J'étais fiable, j'offrais un bon rendement, mais j'étais devenue impatiente et irritable. Je n'en pouvais plus. Puis, je me suis rendu compte que tout cela ne valait pas la peine que je mette ma santé en jeu.»

Francine Sabourin croit que le véritable danger est là. «Le repos et les vacances sont nécessaires. Ils permettent de se ressourcer, oui, mais aussi de fournir une prestation de travail adéquate et d'être vigilant dans ses tâches. Quelqu'un qui est trop fatigué peut mettre en danger la santé de ses collègues et cela peut aller jusqu'à une fin d'emploi.»

Conciliation et compréhension

Éric Parent est copropriétaire du dépanneur Michel Parent. Au même titre que plusieurs entreprises de son secteur, il est contraint d'embaucher des travailleurs qui occupent un emploi ailleurs. Selon lui, la meilleure façon d'éviter l'épuisement d'un membre de son personnel est d'être à l'écoute. «Quand je m'aperçois qu'un employé n'est pas en forme, je diminue ses heures et rarement, je vois des mécontents. Il arrive aussi que ce soit le travailleur lui-même qui me le demande, et j'accepte. Cela ne me donne rien de taper sur quelqu'un, il faut juste comprendre sa situation.»

Par le passé, il a tenté de mettre entre les mains de ses employés la responsabilité de se trouver un remplaçant en cas de non-disponibilité, mais les malentendus étaient fréquents. «Parfois, personne ne rentrait au commerce parce que les deux employés s'étaient mal compris. Alors, maintenant, je préfère avoir le contrôle de mes horaires.»

S'il n'a jamais licencié quelqu'un parce qu'il occupait deux emplois, l'entrepreneur croit tout de même qu'il est important que les employés soient honnêtes et informent leur patron s'ils ne peuvent se présenter en raison d'un conflit d'horaire.