La cyberintimidation et le cyberharcèlement en milieu de travail font désormais partie du vocabulaire des gestionnaires d'entreprises et des directeurs des ressources humaines, qui doivent s'outiller et se documenter pour composer avec ce phénomène relativement récent.

« C'est une réalité qui prend de l'ampleur, concède Me Katherine Poirier, qui pratique le droit du travail et de l'emploi chez Borden Ladner Gervais. Les gestionnaires ne doivent pas faire comme si ça n'existait pas. Ils sont tenus de voir au bien-être physique et psychologique de leurs salariés, mais aussi de leur personnel-cadre. »

Elle rappelle le cas problématique d'un salarié, dans le secteur de l'hôtellerie, qui avait publié sur son profil Facebook un photomontage où il apparaissait, en bedaine, avec une bière à la main et le bras en l'air, aux côtés de la directrice des ressources humaines et de la directrice de l'hôtel.

« Ce salarié était mécontent de ne pas avoir obtenu une promotion, évoque-t-elle. Il cherchait à se venger et il avait ridiculisé ces deux femmes en publiant leurs photos sur les médias sociaux. Le cas s'était retrouvé devant un arbitre de grief qui avait conclu à une faute grave. Il a été suspendu quatre mois sans salaire. »

Comment prévenir le cyberharcèlement?

Il reste « beaucoup à faire », convient Katherine Poirier, qui a fait le point sur le sujet dans une récente présentation aux côtés de sa collègue Me Justine B. Laurier, qui pratique également en droit du travail chez Borden Ladner Gervais.

Des gestionnaires ont toutefois commencé à agir et à passer à l'action, au risque de créer, à l'occasion, un peu d'inconfort auprès de leurs employés, devenus dépendants de Facebook et de Twitter.

« Pensons notamment aux organisations qui exigent de leur employé qu'il accepte un représentant de l'employeur à titre de contact sur tous les réseaux sociaux où il est présent, afin notamment de pouvoir monitorer ses publications », notent Katherine Poirier et Justine B. Laurier.

Des organisations vont aller jusqu'à interdire à leurs employés d'ajouter des contacts d'affaires à leurs comptes de médias sociaux privés « afin de respecter leurs obligations de non-sollicitation post-emploi ».

Des organisations de professionnels vont encore plus loin, et interdisent « purement et simplement » à leurs salariés d'avoir un profil sur certains médias sociaux.

Comme le crier à la cafétéria

Il ne faut pas croire, toutefois, que les patrons peuvent tout se permettre. Quand les patrons s'en mêlent, ils doivent tenir compte du droit à la vie privée, qui est fondamental, nuance Me Stéphane Lacoste, avocat général au syndicat des Teamsters (Canada).

« On touche ici aux aspects ayant trait à la liberté d'expression », tient-il à mentionner. Mais il reconnaît, lui aussi, que les utilisateurs de médias sociaux pensent souvent, à tort, que tout est permis.

« Un employé a déjà dit de son boss qu'il était un vampire sur Facebook, rapporte l'avocat qui conseille les agents d'affaires et les permanents syndicaux, et qui donne de la formation sur la vie privée. Il vaut mieux aller prendre une marche de santé avant de peser sur le bouton enter pour envoyer un message qui pourrait avoir des conséquences fâcheuses. »

« Je dis souvent que ce qu'on écrit sur l'internet, c'est comme si on le criait à haute voix à la cafétéria. La prudence est de mise et il ne faut pas écrire n'importe quoi. Il y a une ligne à ne pas franchir si on veut éviter d'être accusé pour diffamation. On ne tolère pas le harcèlement d'un collègue sur l'internet, même en dehors de l'usine ou du bureau. »

Où tracer la ligne

Parce que tout n'est pas toujours tout noir ni tout blanc, en matière de cyberintimidation et de cyberharcèlement. Il y a de nombreuses zones grises et cela oblige le syndicat et le patron à s'asseoir à une même table pour régler les litiges.

Mais où tracer la ligne pour créer des conditions de travail saines où patrons et employés pourront s'exprimer à leur pleine mesure? « Nous croyons que les patrons ont tout avantage à mettre en place une politique sur le harcèlement, suggère fortement Me Lacoste. Mais il faut faire en sorte que ces interventions se fassent dans le respect mutuel. Le patron ne doit pas se transformer en Big Brother! »

Or, la réalité du travail n'est pas la même partout au Québec. Une grande entreprise sera mieux outillée pour prévenir l'intimidation ou le harcèlement. On y trouvera un service des ressources humaines, notamment.

Ce qui n'est pas nécessairement le cas dans les très petites entreprises, constate Me Lacoste. « D'où l'importance, si on est patron d'une petite épicerie ou d'une compagnie de camionnage, de faire de la formation, d'expliquer aux employés les impacts négatifs du cyberharcèlement, fait-il valoir. Il s'agit de protéger les employés contre eux-mêmes, de leur montrer que ce qu'ils écrivent sur les médias sociaux, ça risque d'être lu par leur voisin, dans le village. »

Rappelons que la Loi sur les normes du travail a été modifiée en 2004 pour y inclure le harcèlement psychologique.

En chiffres

Nombre de plaintes de harcèlement psychologique déposées par année : 2300

Nombre de plaintes déposées depuis 10 ans (de juin 2004 à mars 2014) : 23 850

NATURE DES PLAINTES

Abus d'autorité : 46 %

Harcèlement de groupe : 26 %

Intimidation : 12 %

Violence verbale : 10 %

Harcèlement sexuel : 7 %

(Source : Commission des normes du travail)