Les dispositions sur le harcèlement psychologique de la Loi sur les normes du travail sont entrées en vigueur il y a 10 ans. Le traitement de ces plaintes délicates représentait un grand défi pour la Commission des normes du travail (CNT). Pour constater le chemin parcouru et regarder le travail qu'il reste à accomplir, entrevue avec Johanne Tellier, avocate à la CNT.

Q Quel était le plus grand défi pour la CNT avec l'entrée en vigueur des dispositions sur le harcèlement psychologique de la Loi sur les normes du travail?

R La définition du harcèlement psychologique était complètement nouvelle. Les gens à la CNT et dans les entreprises devaient bien la comprendre, se l'approprier, d'autant plus que les questions de perception sont beaucoup plus ardues à trancher que les questions salariales, par exemple. Le défi était majeur pour la CNT. Il a fallu être imaginatif dans le traitement de ces plaintes parce que nous sortions de ce que nous connaissions.

Q Y a-t-il eu un tournant majeur dans le traitement des plaintes pour harcèlement psychologique à la CNT en 10 ans?

R Oui. Nous avons réalisé que les enquêtes sont très perturbantes pour les entreprises, surtout pour les petites. Lorsqu'une personne de la CNT enquête dans une entreprise de 20 employés, elle a beau agir le plus discrètement possible, si elle passe une heure ou deux avec un des employés, tous ses collègues sauront qu'il a quelque chose à voir avec la plainte. Après la première année, la CNT a changé la façon de traiter les plaintes. On évalue la recevabilité de base de la plainte, donc si elle provient d'une entreprise non syndiquée et si elle respecte le délai de 90 jours, puis on regarde l'essentiel des allégations. Lorsqu'on constate qu'il y a matière à enquêter, on dit maintenant à l'employeur qu'on ne peut pas encore affirmer qu'il y a du harcèlement psychologique dans l'entreprise, mais qu'il y a un problème sérieux. On l'invite à venir en médiation et éviter ainsi l'enquête. Très souvent, il accepte.

Q Les plaintes pour harcèlement psychologique sont-elles nombreuses?

R Le nombre est assez stable, soit entre 2000 et 2300 par année. Ce n'est pas énorme considérant le nombre de salariés non syndiqués au Québec.

Q Quelle est la stratégie la plus efficace pour éviter les situations de harcèlement en entreprise?

R La prévention. Il faut bien informer les employeurs et les salariés; c'est la mission première de la CNT. Nous avons rendu disponibles beaucoup d'informations sur notre site internet. Nous avons organisé des séminaires, des séances d'information pour les entreprises et elles ont répondu à l'appel. Nous continuons nos efforts parce qu'il y a beaucoup de roulement dans les petites entreprises: de nouvelles entreprises sont constamment créées. De plus, plusieurs entrepreneurs ne sont pas originaires du Québec, alors ils connaissent moins les dispositions contre le harcèlement psychologique.

Q Pourquoi la politique contre le harcèlement est-elle si importante pour les entreprises?

R L'employeur a l'obligation de donner un milieu de travail sain à ses employés et il doit agir dès qu'il est interpellé. Le meilleur moyen d'être interpellé, c'est de mettre en place une politique contre le harcèlement pour expliquer les modalités à suivre en cas de problème. C'est super important parce que dans les entreprises non syndiquées, les employés ont peur de perdre leur emploi s'ils parlent. Ils doivent savoir vers qui se tourner. La plupart des grandes et moyennes entreprises ont leur politique, mais il y a encore du travail à faire auprès des petites pour qu'elles aillent de l'avant.

Q Quels sont les défis à relever dans les années à venir?

R Utiliser la technologie le plus efficacement possible pour donner de l'information à grande échelle. Nous avons déjà mis en place la plainte en ligne contre le harcèlement psychologique et fourni des outils pour accompagner les salariés dans le processus. Le site internet demeure une plateforme très importante et très utilisée, mais on développe aussi des stratégies avec de nouveaux outils, comme les applications mobiles et les réseaux sociaux. Pour continuer notre mandat d'information et de sensibilisation, on doit se moderniser.