Yeux rougis et secs, vision embrouillée, maux de tête: un employé sur deux souffre de fatigue visuelle. Certains accusent la multiplication des écrans. Deux experts se prononcent et offrent leurs conseils pour des mirettes en santé.

Chaque jour, le regard de Caroline valse de son ordinateur à sa tablette, sans oublier son téléphone intelligent. Dans ses journées les plus occupées, la gestionnaire de projets de 27 ans passe une douzaine d'heures devant ses écrans. En novembre dernier, alors que les contrats s'enchaînaient, elle a commencé à éprouver des maux de tête fréquents. «En plus, en fin de journée, mes yeux étaient douloureux et larmoyants. C'était très désagréable et ça n'aidait pas à diminuer mon stress», dit-elle.

Le scénario vous est familier? Pas étonnant. Environ un travailleur sur deux souffrirait de ce qu'on appelle la fatigue visuelle. D'autres symptômes s'ajoutent parfois: douleur aux paupières, clignements excessifs, éblouissements récurrents, scintillement devant les yeux, vision double ou embrouillée, yeux plissés, collés, rougis, irrités... «De plus en plus de personnes consultent un professionnel pour des problèmes liés à la fatigue visuelle», observe le Dr Langis Michaud, président de l'Ordre des optométristes du Québec.

Caroline est persuadée que la faute revient à tous les écrans nécessaires à son boulot: «Dans les périodes plus tranquilles où je consulte moins mes appareils, je n'ai pas mal aux yeux ni à la tête», signale-t-elle.

Peut-on vraiment faire un lien de cause à effet? «Les écrans ne causent pas la fatigue visuelle, affirme le Dr Benoît Frenette, professeur et clinicien à l'École d'optométrie de l'Université de Montréal et auteur du livre La vision et l'environnement de travail. C'est plutôt l'usage qu'on en fait. On doit prendre en compte la personne, l'organisation de ses tâches et l'aménagement de son poste de travail.»

Un travailleur qui a des problèmes visuels non diagnostiqués court ainsi plus de risque de souffrir de fatigue visuelle. Même chose pour un employé qui fait de la programmation ou de l'entrée de données. Ces activités exigent un haut niveau de concentration, ce qui pousse l'individu à moins cligner des yeux qui, progressivement, s'assèchent. La fatigue visuelle guette aussi davantage la personne dont l'écran d'ordinateur est placé devant une fenêtre.

«Il ne faut pas prendre la fatigue visuelle à la légère, affirme le Dr Benoît Frenette. La vue est le sens le plus important: entre 75 et 80% des informations environnementales qui nous parviennent passent par les yeux.»

Quelques trucs pour garder vos mirettes en santé

1. Consultez régulièrement votre optométriste. «Un examen complet de la vision permet de vérifier que les yeux sont bien coordonnés, qu'ils sont en santé et que la correction visuelle correspond bien aux exigences de votre travail, notamment lors de l'usage d'un écran.»

2. Passez votre environnement de travail au crible. Dorlotez vos yeux en leur évitant de travailler trop fort. Tamisez l'éclairage en munissant vos fenêtres de rideaux ou de stores. Conservez une température ambiante de 18 à 22 ºC et un taux d'humidité de 50 à 60% pour prévenir la sécheresse oculaire. Assurez-vous d'avoir un siège et une table ajustables à votre posture. Enfin, disposez vos outils de travail pour qu'ils soient tous à la même distance de vos yeux. Pour y arriver, tendez une corde entre votre écran d'ordinateur et le haut de votre nez. Cette même mesure devrait vous séparer de vos documents papier, votre tablette, votre porte-copie, etc. 

3. Prenez des pauses. Rappelez-vous de la formule 20-20-20: toutes les 20 minutes, fixez un point à plus de 20 pieds durant 20 secondes.

4. Achetez des lunettes munies d'un bon traitement antireflet. «Pour le travail à l'écran, c'est un must! assure le Dr Michaud. L'oeil aura accès à plus d'informations et sera moins fatigué par des réflexions parasites. C'est comme si vous rouliez avec un pare-brise propre!»

Une lumière bleutée controversée

Plusieurs écrans plats de dernière génération sont munis de diodes électroluminescentes, les fameuses DEL. Un de leurs grands avantages? Elles sont moins énergivores. Cependant, elles émettent davantage de lumière bleutée que la moyenne des ampoules disponibles sur le marché. À très long terme, ces bleus pourraient tuer des cellules de la rétine. «C'est un scénario catastrophe, assure toutefois le Dr Benoît Frenette. Pour en arriver là, l'oeil doit se trouver à une distance de moins de 30 cm de l'écran et y être exposé pendant plusieurs semaines, voire plusieurs mois, à raison de nombreuses heures par jour.» N'empêche, l'industrie de l'éclairage cherche à diminuer l'éclat bleuté des DEL. En parallèle, les scientifiques tentent de mettre au point des traitements antireflets qui, une fois appliqués aux verres, réfléchiraient ces bleus. Un dossier à suivre.