Facteurs de stress, injustes, trop scolaires, voire carrément inutiles... les entretiens individuels d'évaluation sont loin de faire l'unanimité, mais restent très répandus dans les entreprises, faute de mieux.

Selon les dernières données disponibles, de tels entretiens - souvent annuels -, ont lieu dans 77% des entreprises privées, le secteur public étant aussi concerné. Pour les cadres, primes et promotions sont en général à la clé.

Mais est-il possible d'évaluer de façon objective la performance des salariés?

Les grandes entreprises s'y essaient avec des grilles préétablies très codifiées.

Philippe Canonne, directeur des ressources humaines de Sephora (cosmétiques, 30 000 employés dans le monde), juge toutefois que «le formel a pris l'avantage sur le sens depuis longtemps», les cadres chargés des évaluations n'ayant plus de latitude et se contentant de remplir des cases.

«Cela fait trente ans, sinon plus, qu'on utilise ce système (...) ça fait trente ans que ça ne marche pas, tout le monde le sait et on continue», a-t-il lancé récemment lors d'une table ronde organisée par des consultants de HR Valley et LearnLab, qui ont enquêté sur le sujet. «Si on oubliait l'année prochaine de relancer le système, personne ne s'en rendrait compte».

Un système très scolaire

À l'inverse, Catherine Djunbushian, DRH de Sodiaal (produits laitiers, 7.500 employés), «croit beaucoup» à l'évaluation même s'il n'y a «pas d'outil parfait». Elle la présente comme «un moment de rencontre» qui répond au «besoin de rétroaction et de reconnaissance» des salariés.

Mais, dit-elle, il faut que le cadre garde une certaine liberté, tout en étant formé «à ne pas blesser» les salariés qui se retrouvent face à lui.

Car c'est bien en partie la nature de ce qui est évalué qui pose problème, les critères comportementaux (aptitude à travailler en équipe, prise d'initiatives, adhésion aux valeurs de l'entreprise...) que les entreprises sont tentées de prendre en compte, étant considérés comme subjectifs. Dès 2007, la Cour de cassation a d'ailleurs établi un lien entre évaluation et santé mentale, contraignant les entreprises à consulter le Comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) avant leur mise en place.

Plusieurs groupes ont d'ailleurs vu leur système rejeté en justice. En 2011, cela a été le cas d'Airbus qui entendait évaluer la capacité des salariés à «agir avec courage» ou en février dernier de Hewlett-Packard, ses critères (confiance en soi ou encore autonomie) n'étant «pas suffisamment précis pour permettre une appréciation objective», selon les juges.

Les consultants de HR Valley et Learn Lab relèvent aussi qu'en France «l'évaluation garde une forte connotation scolaire et discriminante», le regard se portant «volontiers sur ce qui ne va pas».

En outre, avec un tel système, les salariés sont mis en concurrence et le travail collectif est rarement pris en compte.

«C'est vraiment un système très scolaire», confirme à l'AFP un ex-cadre de PricewaterhouseCoopers (PwC), où il était évalué sur chaque projet, les résultats étant compilés en fin d'année.

«Au bout du bout, ça reste assez arbitraire. C'est forcément un peu à la tête du client», dit un autre cadre, expliquant que dans son entreprise, des quotas déterminent à l'avance le nombre de personnes qui vont bénéficier d'une promotion «pour que ce ne soit pas trop l'École des fans!»

Dans son livre «DRH, le livre noir», le sociologue Jean-François Amadieu souligne qu'une majorité de cadres «jugent l'évaluation injuste et fondée sur de mauvais critères», citant un sondage de 2012.

Pour avoir des critères objectifs, «il faut que les entreprises acceptent d'accorder moins d'importance (...) à ce qui relève du comportement», dit M. Amadieu à l'AFP. «On ne peut pas nier que le comportemental par exemple vis-à-vis du client ou en interne puisse compter; après, la question, c'est comment éviter que ce soit une "note de gueule" qui n'a pas de lien avec la performance?»

Au final, souligne-t-il, «toute l'ambiguïté des systèmes d'évaluation» est liée au fait qu'être évalué est «une sorte de besoin psychologique» pour les salariés, même s'ils sont «toujours insatisfaits»...