Avec les nombreux départs à la retraite et la rareté de la main-d'oeuvre qualifiée, tout porte à croire que les employeurs sont aux petits soins avec leurs talents. Oui, mais...

Plusieurs organisations prennent toujours, en 2012, de grands risques en matière de gestion des talents. C'est ce qu'ont indiqué récemment deux spécialistes de la gestion des ressources humaines à de nombreux cadres réunis à l'initiative du Centre international de recherches et d'études en management.

Risque 1: Abandonner ses talents

«Je me promène dans les entreprises et je vois encore aujourd'hui qu'on ne fait pas toujours le maximum pour bien accompagner les talents qu'on promeut», affirme Suzanne Gagnon, conseillère en ressources humaines agréée, professeure associée à HEC Montréal et consultante en stratégies organisationnelles.

«Il faut les attirer, les accueillir, les intégrer, les évaluer, précise-t-elle. Les talents veulent avoir de la rétroaction, mais ils veulent aussi en donner. Les organisations doivent mettre en place un plan avec les cadres et les employés pour faire un suivi systématique. Il faut éviter qu'un talent soit recruté, puis qu'il tombe dans une «craque»», explique Mme Gagnon, qui a également été vice-présidente aux ressources humaines dans de grandes entreprises, dont Pratt&Whitney Canada et le Cirque du Soleil.

Risque 2: Pêcher au bout du quai

«Si on pêche au bout du quai, on attrapera ce qui est autour. Si on va au large, on aura accès à un plus grand bassin», illustre Alain Gosselin, professeur titulaire au service de l'enseignement de la gestion des ressources humaines à HEC Montréal.

Il conseille aux cadres de déléguer énormément pour développer des talents.

«C'est en amenant les gens à sortir de leur zone de confort qu'on les amènera à grandir et à prendre le goût de la gestion.»

Il suggère aussi aux gestionnaires des ressources humaines de produire un portfolio sur les compétences et ambitions des employés.

«Souvent, ces informations ne sont pas transmises dans l'organisation, donc c'est difficile de piger dans les talents lorsqu'un besoin survient.»

Également directeur associé à la formation des cadres et des dirigeants à HEC Montréal, Alain Gosselin remarque que plusieurs personnes arrivent dans ses classes alors qu'ils sont déjà dans leurs nouvelles fonctions de cadre.

«Aurait-on pu les former avant? Pour y arriver, il faut définir les types de leaders dont on aura besoin dans cinq ou dix ans. On ne développe pas des talents pour aujourd'hui, mais pour demain», explique-t-il.

Risque 3: Être trop prudent

Dans ses classes de maîtrise en administration des affaires (MBA), Suzanne Gagnon demande toujours aux étudiants si quelqu'un dans leur organisation s'est assis avec eux pour discuter de ce qu'ils voudront faire après leurs études.

«Dans la plupart des classes, ce n'est arrivé à personne, s'étonne-t-elle. Pourtant, si les étudiants n'ont pas la chance d'appliquer leur MBA dans leur organisation actuelle, ils iront le faire ailleurs! Comme employeur, il faut dire à un jeune talent qu'on croit en lui. On peut lui accorder une promotion même s'il n'est pas prêt à 100% en lui disant les éléments qu'il aura à développer. Il faut prendre des risques.»

Risque 4: Trop réfléchir avant d'agir

«Entre le moment où un besoin en ressources humaines apparaît et la solution implantée, il se passe en moyenne 18 mois. C'est beaucoup trop long pour la personne au bout», affirme Alain Gosselin.

Il remarque que, souvent, les gestionnaires des ressources humaines veulent tout boucler, tout valider avant de passer l'action.

«Or, il faut agir et attacher les ficelles en marchant, affirme l'expert. L'idée, c'est de réfléchir et d'agir en même temps. Il faut être capable de prendre des décisions en fonction de ce qui marche et pour le savoir, il faut expérimenter.»

Risque 5: L'élitisme

«Souvent, la gestion des talents devient une gestion des gens à haut potentiel. On parle donc d'environ 5% des gens dans l'organisation, mais il y a aussi les 95% restants», affirme Suzanne Gagnon.

Elle suggère de segmenter le talent et la performance.

«Tout le monde est important dans une organisation. Il faut cibler les différents groupes dans ses actions pour avoir plus d'impact. Par exemple, si on a un problème de roulement de main-d'oeuvre dans les 18 à 24 premiers mois d'emploi, il faut faire quelque chose pour ces gens. Si plusieurs personnes à l'aube de leur retraite partent finir leur carrière ailleurs, il faut se demander ce qu'on peut faire pour les garder. La gestion des talents, ce n'est pas seulement pour les gens à haut potentiel.»