La crise forestière qui sévit depuis plusieurs années a refroidi l'intérêt de bien des jeunes envers le secteur du bois. Pourtant, l'industrie se renouvelle et a besoin de main-d'oeuvre pour assurer sa pérennité. Seule université québécoise à offrir les programmes qui mènent à la profession d'ingénieur forestier, l'Université Laval lance un cri d'alarme.

Conflit du bois d'oeuvre. Fermetures d'usines. Pertes d'emplois. L'industrie forestière connaît des heures sombres depuis nombre d'années. «Le secteur traverse une crise depuis la quatrième guerre du bois d'oeuvre, en avril 2002. On dirait que c'est une mauvaise nouvelle après l'autre», reconnaît Luc Bouthillier, ingénieur forestier, Ph.D. et professeur-chercheur à la faculté de foresterie et géomatique de l'Université Laval.

De mauvaises nouvelles qui en cachent pourtant d'autres, plus encourageantes. «Le secteur est vraiment en train de se réinventer, tant du point de vue industriel que de l'aménagement du territoire. Ce n'est pas un secteur folklorique, mais d'avenir», affirme M. Bouthillier.

Lebel-sur-Quévillon

À Lebel-sur-Quévillon, Jean Charest a annoncé le 31 janvier la réouverture de l'ancienne usine de pâtes et papiers Domtar, fermée depuis 2005. Rachetée par Fortress Global Cellulose, l'usine produira de la rayonne, un bioproduit qui était tombé en désuétude, mais dont on redécouvre les vertus depuis l'augmentation du prix du pétrole. «C'est fondamental pour les industries de pâtes et papiers de passer aux bioproduits, car le papier journal, il n'y a plus d'avenir là-dedans», tranche le professeur.

Les «nouveaux» bioproduits ont aussi la cote. À Windsor, en Estrie, on a inauguré en janvier la première usine de nanocellulose cristalline au monde, une nouvelle technologie développée au Québec. La nanocellulose se distingue par sa très grande résistance: une couche appliquée sur une feuille de papier d'aluminium lui confère la résistance de la fonte d'acier, illustre M. Bouthillier.

En fait, les possibilités de nouveaux produits à tirer du bois sont immenses. «Il y a au-delà de 200 possibilités de produits. Mais la difficulté, c'est l'industrialisation de ces produits. Cela ne peut se faire qu'avec une main-d'oeuvre hautement qualifiée », avertit l'ingénieur.

Sur les doigts d'une main

Le problème, c'est que la main-d'oeuvre manque à l'appel. À l'Université Laval, seul établissement de la province à offrir les baccalauréats en génie du bois, en opérations forestières et en aménagement et environnement forestiers, l'inquiétude est manifeste. «D'ici trois ou quatre ans, le facteur limitant pour ce redéploiement du secteur sera la disponibilité de la main-d'oeuvre. La moyenne d'âge des travailleurs dans le secteur des pâtes et papiers est présentement de 50 ans. Si tous les jeunes sont persuadés qu'il n'y a pas d'avenir là-dedans, on a un problème», s'inquiète Luc Bouthillier.

À titre d'exemple, cette année, seulement deux étudiants seront diplômés en génie du bois et un seul en opérations forestières. «On compte les diplômés sur les doigts d'une main!», illustre le professeur. Ces deux baccalauréats sont dits «coopératifs», soit d'une durée de quatre ans, offerts en alternance travail-études avec des stages rémunérés. Un autre baccalauréat relié au secteur, Aménagement et environnement forestiers, diplôme une vingtaine d'étudiants chaque année. Tous donnent accès à l'Ordre des ingénieurs forestiers du Québec.

Une espèce rare

Érika Blackburn fait partie de cette espère rare. En mai, la jeune femme de 25 ans obtiendra son baccalauréat en génie du bois, concentration construction en bois. Originaire du Saguenay, elle sait d'ores et déjà qu'elle retournera travailler dans sa région, dans une firme de génie-conseil où elle a fait ses deux derniers stages et qui l'a déjà engagée.

«La plupart des ingénieurs civils ne savent pas comment travailler le bois, donc les entreprises ont besoin de quelqu'un qui connaît bien le matériau. Il y a beaucoup de possibilités pour les constructions non résidentielles de trois étages et moins, sans compter les avantages écologiques et la vitesse de construction. Je suis convaincue que la construction en bois peut sortir l'industrie forestière l'impasse», conclut-elle.