La croyance populaire veut que les bonis de performance motivent les travailleurs. Or, ce n'est pas toujours le cas, constate Jacques Forest, CRHA, psychologue organisationnel et professeur à l'ESG-UQAM, qui a réalisé avec une équipe de chercheurs une étude sur l'impact de la rémunération sur la motivation des employés.

En fait, il semblerait qu'un système de rémunération établi sur les bonis risque plutôt de rendre les employés contre-performants. Dans certains cas, ils pourraient même mener à l'épuisement professionnel en mettant trop d'importance sur l'aspect économique du travail au détriment des autres facteurs de motivation.

L'étude, réalisée auprès de 836 travailleurs, a soulevé deux constats. D'abord, le salaire n'a pas nécessairement un impact sur la performance. Ensuite, les employés qui travaillent par intérêt et par vocation sont plus motivés que ceux qui travaillent avant tout pour l'argent.

«C'est une évidence, c'est l'argent qui fait en sorte que les gens travaillent, dit Jacques Forest. Il faut bien gagner sa vie et subvenir à ses besoins. Toutefois, les raisonnements et les conclusions tirés de ce principe sont parfois faux ou incomplets, car en dehors de sa fonction économique, le travail sert aussi à satisfaire des besoins psychologiques.»

C'est d'ailleurs pourquoi, quand on demande aux gens s'ils continueraient à travailler même après avoir reçu assez d'argent pour subvenir à tous leurs besoins jusqu'à la fin de leur vie, entre 60% et 90% répondent que oui, ajoute-t-il.

«On peut classer les raisons de travailler en quatre catégories, que j'appelle les quatre F, dit Jacques Forest. Le «fun», la foi, la fierté et le fric!»

Avoir du plaisir à travailler, croire en l'importance de ce que l'on fait et en tirer de la fierté a autant d'importance que l'argent, affirme le chercheur.

Ces conclusions sont valables pour toutes les catégories d'emploi. On pourrait penser que certains métiers n'apportent qu'un bon salaire et ne satisfont pas les besoins psychologiques, mais c'est faux.

«Il y aura toujours des gens qui trouveront leur travail intéressant dans un domaine donné, et d'autres, non. Si on prend deux concierges dans un hôpital: le premier peut être motivé uniquement par le salaire, tandis que l'autre va se dire que son travail est utile en contribuant à prévenir les maladies infectieuses, et être fier de ce qu'il fait», dit-il.

Effets pervers des bonis

«En offrant des bonis de performance, on accorde une importance disproportionnée à l'aspect monétaire, dit Jacques Forest. Voulant bien faire, on attire davantage l'attention des travailleurs sur cet aspect. Cela les pousse à se concentrer sur des comportements qui leur permettront d'obtenir ces bonis, au détriment des comportements qui développent le plaisir au travail, la fierté et la foi en ce qu'ils font. À la longue, cela entraîne parfois des comportements négatifs au travail.»

La motivation qui découle d'une rémunération reliée aux résultats est une motivation extérieure à l'individu. L'intensification des efforts du travailleur est motivée par l'attente d'une récompense et une pression externe. Une dynamique qui augmente les risques d'épuisement professionnel.

Les vrais besoins des employés

«Ce que l'on conseille aux entreprises, c'est de payer les gens suffisamment et équitablement, mais une fois que l'on a atteint un niveau satisfaisant, on doit se concentrer sur la satisfaction des autres besoins que les employés ont en lien avec leur travail, dit le chercheur. Cela aura davantage d'impact sur leur performance.»

Ces besoins, ce sont l'autonomie (sentir qu'on peut initier et organiser ses tâches en agissant en conformité avec ses valeurs), la compétence (se sentir efficace au travail et avoir les ressources pour atteindre les objectifs et progresser), et l'affiliation sociale (relations interpersonnelles satisfaisantes avec les collègues, les clients et les patrons).

«La logique économique voudrait qu'un individu recherche toujours un salaire plus élevé. Or, on voit régulièrement certaines personnes qui réduisent volontairement leur salaire en changeant d'employeur. C'est parce qu'ils pensent que leurs besoins psychologiques seront mieux satisfaits ailleurs.»

L'étude démontre, en effet, que plus ces besoins psychologiques sont frustrés dans le cadre d'un travail, et plus l'employé risque d'avoir envie de quitter son emploi.

Selon la même logique, choisir une carrière ou un emploi uniquement en fonction des facteurs pécuniaires, sans tenir compte de ses autres besoins, serait également une erreur.