Vous êtes-vous déjà présenté au boulot alors que vous vous sentiez mal en point physiquement ou psychologiquement au point où vos capacités et votre efficacité ont été limitées? Si oui, vous avez fait du «présentéisme», un phénomène qui est un peu l'envers de la médaille de l'absentéisme.

«Le présentéisme est un concept relativement nouveau qui gagne en popularité depuis une quinzaine d'années, notamment dans les pays scandinaves, où de nombreuses recherches ont été publiées sur le sujet», indique Éric Gosselin, professeur titulaire en psychologie du travail à l'Université du Québec en Outaouais qui vient de publier une des rares études sur le présentéisme réalisées au Canada.

Ce phénomène, généralement bien vu dans notre société - un travailleur malade qui se présente malgré tout pour terminer un boulot important ne risque pas de se faire rabrouer par son patron, au contraire - pose plusieurs problèmes, ne serait-ce que du point de vue de la contagion (il suffit de penser aux épidémies de grippe). Sans compter qu'il peut provoquer, à long terme, l'absentéisme.

«Il y a un présentéisme «normal», où quelqu'un qui a mal à la tête va se présenter quand même au travail. Mais le présentéisme à long terme pourrait être un symptôme annonciateur de l'absentéisme, et même d'une absence de longue durée, une problématique très importante dans beaucoup d'organisations actuellement. C'est donc important que ces dernières soient mieux informées sur ce phénomène; il est mieux qu'un travailleur s'absente deux jours pour bien se reposer à la maison que six mois parce qu'il fait une dépression», explique M. Gosselin.

Et c'est sans compter qu'il y a aussi des coûts liés à cette réalité: «Le présentéisme, c'est une fuite de productivité invisible, car l'employeur ne peut pas deviner qu'un employé présent est moins productif. Des études faites en Scandinavie et aux États-Unis suggèrent que le présentéisme coûte aussi cher que l'absentéisme aux organisations», ajoute-t-il.

Les hauts gestionnaires sous la loupe

L'étude Présentéisme et absentéisme: compréhension différenciée de phénomènes apparentés, publiée par M. Gosselin, Louise Lemire et Wayne Corneil, s'intéresse à ces deux réalités chez les cadres supérieurs de la fonction publique fédérale canadienne. En tout, 1700 d'entre eux, soit près de 50% du nombre total, ont répondu à un questionnaire sur la santé psychologique au travail. «Ce qui nous intéressait, c'était de comparer le présentéisme et l'absentéisme dans un même modèle théorique afin de comprendre ces deux phénomènes. On partait avec l'hypothèse que ce sont des phénomènes interreliés, mais déterminés par des variables différentes», explique M. Gosselin.

Ce que l'étude démontre clairement, c'est que ces hauts gestionnaires font très peu d'absentéisme: seulement 3 jours par année, en comparaison avec 11 jours en moyenne pour les fonctionnaires fédéraux et provinciaux au pays (selon Statistique Canada). En revanche, ils font 22 jours de présentéisme, alors que la moyenne serait de 8 à 10 jours par année, selon plusieurs études américaines et québécoises, affirme le chercheur.

«La découverte la plus intéressante de notre étude est l'incidence des responsabilités sur le présentéisme et l'absentéisme, une relation selon le principe qu'on appelle «pour le meilleur et pour le pire». Pour le meilleur, les grandes responsabilités qu'ont ces hauts gestionnaires réduisent l'absentéisme. Pour le pire, elles causent le présentéisme, un problème aussi grave que l'absentéisme.»

Cette conclusion permet de remettre en question l'idée souvent admise selon laquelle donner plus de responsabilités à un employé est une bonne chose pour favoriser l'engagement. «On a tendance à croire que sky is the limit... Mais il semblerait que cela puisse causer des effets pervers et qu'en matière de gestion des travailleurs, plus n'est pas toujours mieux. Il serait intéressant d'étudier d'autres variables comme la loyauté et l'engagement organisationnel pour voir comment elles affectent le présentéisme», conclut M. Gosselin.