Habitués au renforcement positif, entraînés pour exceller et très sensibles à la critique, les jeunes de la génération Y ont peur de l'échec.

«Ils ont été élevés par la première génération de parents qui ont basé leurs principes d'éducation sur les livres de psychologie, où l'on encourage les bons coups au détriment de la correction des faiblesses. Malheureusement pour ces jeunes adultes, le marché du travail actuel ne fonctionne pas toujours ainsi», explique Anne Bourhis, professeure de gestion des ressources humaines à HEC Montréal.

Julie, 27 ans, exprime de façon éloquente cette désillusion. Elle n'aime guère la façon cavalière qu'a sa patronne de la critiquer. «Elle réécrit constamment mes textes sans me montrer les changements et m'en expliquer la raison», raconte la jeune femme qui travaille pour l'administration d'une municipalité de la Rive-Sud.

L'absence de commentaires constructifs l'inquiète. «Cela me donne l'impression que mon travail est très mauvais», affirme la jeune femme qui préfère garder l'anonymat.

Selon Diane Pacom, cette crainte n'est que le reflet de l'angoisse des parents. «Les baby-boomers ont produit des enfants-rois. Ils en ont fait un miroir inversé d'eux-mêmes. Ils les ont habitués à ne viser rien de moins que l'excellence. Il en découle forcément un rapport malsain à l'échec», croit la professeure de sociologie à l'Université d'Ottawa.

Mme Bourhis observe ce phénomène dans sa propre classe. «Les étudiants prennent mal la critique, si petite soit-elle. Par exemple, ils s'offensent qu'on leur reproche devant leurs pairs de ne pas parler assez fort pendant leur présentation orale. Ils préféreraient recevoir ce commentaire en privé.»

«Ils ont aussi peur de ne pas avoir de bonnes notes, remarque pour sa part Mme Pacom. Un étudiant m'a déjà demandé pourquoi je lui avais donné un A". Il voulait reproduire cette formule pour assurer sa réussite dans ses autres cours.»

Adaptation en vue

Les employeurs n'ont pas à craindre cette nouvelle réalité, mais ils devront s'y adapter, croit Anne Bourhis. «Avant, on pouvait dire à un employé qu'il avait tort, point final. Plus maintenant. Le Y typique attend de son patron qu'il justifie ses décisions et qu'il lui donne de la rétroaction fréquemment. Il souhaite aussi qu'on reconnaisse la valeur de son travail et qu'on exprime sa fierté de pouvoir compter sur lui.»

Les Y revendiquent leur indépendance, tout en désirant des conseils de la part de leur supérieur. Les employeurs devront donc accepter que «gérer un Y exige plus de temps que gérer un X», ajoute la professeure.

Et inutile de s'élever contre cette tendance. «Les employeurs n'ont pas le choix, car la balance du pouvoir est entre les mains de cette génération en raison du contexte économique et démographique», affirme-t-elle.

La balle est aussi dans le camp des jeunes employés qui doivent réaliser que le milieu du travail a ses propres règles. «Réclamer constamment de la rétroaction peut être contre- productif, signale Mme Bourhis. Vaut mieux prendre en note ses demandes qui feront l'objet d'une rencontre hebdomadaire avec son superviseur.»

C'est d'ailleurs la stratégie qu'a adoptée la patronne de Julie après de nombreux démêlés. «Chaque vendredi, nous revoyons ensemble les dossiers sur lesquels nous avons travaillé pendant la semaine, dit Julie. Cela me permet donc de continuer mes tâches en accord avec les objectifs de ma superviseure et de revoir les consignes données.»

Anne Bourhis conseille aux Y de s'auto-évaluer, afin de ne plus vivre dans le regard des autres. «Mais cette aptitude s'acquiert avec l'expérience», reconnaît-elle.

Enfin, gérer la critique avec un peu d'humour peut amener les Y à envisager l'échec autrement. «N'hésitez pas à dire à votre patron «Je sais que je vous en demande beaucoup, mais je veux seulement être rassuré!»», conseille la professeure.